Amis sans abri et conducteurs de rickshaws flamboyants inspirent à Robyn Orlin deux pièces qui creusent les souvenirs de différents âges de sa vie. À voir au Théâtre de Chaillot. Du 9 au 12 novembre.
Jamais elle ne nous avait parlé comme ça. Parlé de sa vie, de ses souvenirs. Sauf à ses débuts en Europe, quand on découvrit avec Robyn Orlin la possibilité d’un regard distancié, amusé et parfois tragique sur l’Afrique du Sud, autour de l’apartheid et du sida, entre tutus, pointes et culture underground. Ensuite, elle s’est faite amuseuse publique, championne du burlesque, chantre de la danse caustique. Jusqu’en 2020. Car là, soudain, c’est le confinement, et l’assignation à domicile que nous avons tous connue. Le sentiment d’enfermement qui en résulta fit remonter en Orlin le souvenir de l’une de ses premières expériences scéniques, et cela remonte à sa vie post-estudiantine aux Etats-Unis. Robyn s’était alors liée d’amitié avec quelques SDF de son quartier newyorkais, peut-être parce qu’elle-même n’avait ni espace de travail ni lieu permettant de montrer ses créations. Et un jour, un ami SDF perd sa « maison », de fait un carton de réfrigérateur. En arpentant le quartier avec lui, à la recherche d’une nouvelle boîte habitable, Orlin se dit qu’elle n’a qu’à créer et jouer un solo dans ce même type d’abri de récup’ ! Aujourd’hui, trois décennies plus tard, elle ne songe pas à remonter sur scène pour réinterpréter ce solo, même si elle le caractérise plus comme « exploration d’un espace » que danse. Il fallait, de toute façon, le mettre à l’épreuve du contexte sociétal, mental et corporel dans lequel nous vivons aujourd’hui. Aussi elle le transmet à Nadia Beugré, chorégraphe et danseuse punchy qui s’approprie la partition à sa façon, plus sensuelle, plus dansante. Ce qui, malgré toute la fidélité à l’original, a donné vie en juin dernier au festival Montpellier Danse à un tout nouveau In a corner the sky surrenders.
Quand Robyn Orlin monta dans le carton-abri à New York, elle avait dans la tête, de façon très lointaine sans doute, ses souvenirs d’enfance des conducteurs de rickshaws à la décoration flamboyante. Ces hommes, tous des Zoulous, arboraient des tenues tout aussi colorées, des sandales faites à partir de pneus de voiture et des coiffes à cornes de vache. Leur labeur et leur situation sociale faisaient que ces hommes, qui vivaient une forme d’esclavage, mouraient jeunes. L’enfant qu’elle était les prenait pour des anges. Aujourd’hui elle les considère comme des danseurs, virtuoses du rythme galopant et du jeu avec la gravité imposée par le maniement des rickshaws. La compétition en matière de décorum de récup’ et de flamboyance masquait la souffrance et était un moyen de préserver leur dignité. Sur le plateau, dans We wear our wheels with pride and slap your streets with color … we said ‘bonjour’ to satan in 1820, les danseurs de la troupe de Moving into Dance Mophatong de Johannesburg n’imitent pas les conducteurs de rickshaws, mais les représentent sur un rythme balançant, accompagnés d’un guitariste et de la chanteuse-performeuse Anelisa Stuurman aka AnnaLizer, qui se fond dans le groupe ou l’accompagne, le corps aussi puissant que la voix. Entre danse, musique et vidéo, la Rainbow Nation fête autant sa diversité que sa naissance, car les Zoulous aux rickshaws ont beaucoup apporté à la lutte contre l’Apartheid, selon Orlin.
Robyn Orlin, Théâtre national de la danse, Chaillot, du 9 au 12 novembre.
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