Avec ses boucles blondes, son joli minois et ses rondeurs enfantines, on dirait un angelot de Ghirlandaio ou de Filippino Lippi. Les livres de Joffrine Donnadieu sont moins angéliques. Une histoire de France, paru en 2019, racontait la vie de Romy, une fillette de neuf ans dont une voisine abusait sexuellement. Dans Chienne et louve, son second roman, nous retrouvons Romy à Paris. Elle a vingt ans. Pour financer ses études au Cours Florent, elle se prostitue dans un club de strip-tease à Pigalle. Elle loue une chambre chez une vieille dame de quatre-vingt-dix ans avec qui elle ne tarde pas à nouer un lien pervers. Encore une histoire d’emprise. « De double emprise, intergénérationnelle, rectifie Joffrine avec un sourire moins espiègle qu’on aurait pu s’y attendre. Ce qui m’intéresse, c’est l’hystérie de mes personnages et en particulier le moment où elles partent en vrille. »
Nous prenons un verre au premier étage du Hibou, le café victorien du carrefour de l’Odéon. Oiseaux empaillés. Portraits de famille. On se croirait chez Dickens. Mais c’est à Zola que l’univers inquiétant de Joffrine Donnadieu fait penser. Originaire de Toul, elle a quitté l’école à seize ans pour tenter sa chance dans « la ville de tous les possibles ». « Paris est un cocktail qui se boit à toute heure », ajoute-t-elle et son visage s’illumine. Pour muscler son roman, elle s’est renseignée auprès des filles de clubs dans le genre du Pussy’s où turbine son héroïne dont le nom de scène est Any-Doll ; mais aussi au Crazy Horse où on lui a montré comment faire valoir son corps et marcher avec des talons hauts. Les fétichistes seront gâtés par Chienne et louve. La romancière y déploie toute la panoplie de l’emploi : rouge à lèvres irisé noir, perruque fuchsia, soutien-gorge à franges perlées, cache-tétons, string, plateformes, etc.
Fille d’une parfumeuse et d’un colonel de l’Armée de terre, Joffrine doit son prénom au maréchal Joffre. Donnadieu n’est guère moins encombrant. L’étroitesse de la province n’a fait qu’appesantir cette surdétermination patronymique. Corsetée par son ascendance, rêvant autant d’évasion que de s’arracher à un destin tout tracé, l’autodidacte mène aujourd’hui une vie nomade dans la capitale, d’une chambre à l’autre. Le fantasme est l’échappatoire de sa Romy. De là sa passion pour Tennessee Williams et Louis Calaferte, ses figures tutélaires. « Le Ravissement de Lol V. Stein m’a aussi beaucoup marquée, me confie la bonne Lorraine. L’obsession de Duras me fascine, sa façon de pousser son personnage dans ses derniers retranchements en l’examinant sous toutes les coutures comme si c’était une poupée. » Le drame des héroïnes de notre romancière, c’est d’être victimes d’une réification : on leur dérobe leur subjectivité pour les transformer en objets fantasmatiques. De Duras, elle a aussi hérité un sens aigu de la liturgie. La mise en scène de la sexualité est une messe, un rituel qui confine à la consécration et à la communion. Donnadieu s’érige en prêtresse littéraire pour attiser le désir.
Chienne et Louve, Joffrine Donnadieu, éditions Gallimard. 352 p., 21 €