La cinémathèque de Toulouse programme une cycle intitulé « Femmes fatales » du 7 janvier au 17 février 2023. Au menu quelques copieux chefs d’œuvre du film noir où la femme, fatale, forcément fatale occupe une place de choix : Les Tueursde Robert Siodmak avec Ava Gardner, La Rue rouge de Fritz Lang avec Joan Bennett, Gun Crazy de Joseph H. Lewis avec Peggy Cummins, Chinatown de Roman Polanski avec Faye Dunaway, Assurance sur la mort de Billy Wilder avec Barbara Stanwyck, La Dame de Shanghai d’Orson Welles avec Rita Hayworth et quelques autres. La femme fatale c’est le démon de la chair. Glissant sur des cadavres dont elle se moque, elle représente la menace et dérange l’ordre établi. Associée à la ville et à sa corruption, elle arrache l’homme à son quotidien pour le propulser dans le stupre et le crime. Provocatrice, traîtresse, avide, la femme fatale entraîne le mâle dominé dans un tourbillon de pulsions détraquées. D’où vient cette furieuse ensorceleuse ? Bien avant le film noir, elle a fait le bonheur des mythes antiques et bibliques, des sirènes aux magiciennes de L’Odyssée, la femme est une promesse de naufrage. Eve enchaîne l’homme aux paradis perdus, la très jeune Salomé se fait offrir une tête sur un plateau d’argent, Dalila émascule Samson de sa puissance, Judith s’attelle à la décollation d’Holopherne. Semant le péril dans son sillage, elle est métamorphosée en « vamp » lorsque les studios hollywoodiens s’en emparent. Dérivée des goules, vampires au féminin, elle suce désormais non plus du sang mais de l’argent. Autre pays autres mœurs sur la terre des pionniers elle est devenue vénale en plus d’être fatale, épuisant le mâle dans une soif inextinguible de sexe et d’or. Le film noir en fait sa figure de proue, parfois accolée au privé en imperméable beige et chapeau de feutre mou. C’est elle qui attire le public dans les salles obscures, qui le prend dans les rets de ses cheveux blonds ou bruns. Rita, Barbara, Ava, le film noir possède sa collection de figures d’anthologie. Phyllis-Barbara et sa cheville décorée d’une chaîne en or commandite le meurtre de son encombrant époux, la fermeture éclair de sa robe refuse de rouler en public quand Gilda-Rita mène en bateau son ex-amant, Kitty-Ava en fourreau ébène et gants assortis susurre des mots d’amour avant de conduire son pigeon à sa perte, béret noir vissé sur la tête, Annie-Peggy joue du revolver à l’instar d’une Evelyn-Faye vengeresse. Cigarette en bouche, la femme fatale allume la nuit et enflamme les hommes qui s’approchent un peu trop près. Lascive, elle joue de ses charmes pour obtenir ce qu’elle veut. Kitty-Joan manipule à sa guise son pantin lui riant au nez et à la barbe. « Te tuer c’est me tuer aussi. » Orson Welles sacrifie la sublime chevelure rousse de Rita Hayworth pour un ultime film à Hollywood. Les étoiles pâlissent dans le platine froid d’Elsa Bannister, la Columbia déteste cette transformation et retarde la distribution de La Dame de Shanghai. Avec ce rôle de femme-requin flairant le sang de ses victimes, Orson offre à Rita un cadeau de divorce royal : elle peut enfin briser l’image dont elle était prisonnière, la faisant voler en éclats dans un cri qui déchire la toile : « I don’t wanna die. » Le piège s’est refermé sur la femme fatale.
La cinémathèque de Toulouse, cycle « Femmes fatales » du 7 janvier au 17 février 2023.