Et si le vilain petit canard était grand, noir et nous racontait son histoire en langue des signes ? C’est la fabuleuse idée de la marionnettiste Laurie Cannac et du chorégraphe gabonais Andy Scott Ngoua.
Il y a toujours quelque chose de magique à rencontrer les marionnettistes. Souvent dans l’ombre, ces discrets artisans de la matière à laquelle ils insufflent la vie, s’emparent de ce qui ne semble pas représentable sur scène pour le faire vivre. Laurie Cannac, dont le maître de marionnette fut Ilka Schönbein, crée ainsi, après La Petite Sirène (2013), une relecture du Vilain Petit Canard d’Andersen. Un auteur qui l’intéresse, parce qu’elle aime travailler sur la question du rejet. Pas question donc de polariser l’attention sur le volatile, mais plutôt de faire ressentir au spectateur « le vilain petit canard qui est en lui », explique-t-elle. Ainsi dans cette mise en scène poétique où Laurie Cannac convoque aussi bien la danse, la marionnette et la langue des signes, le spectateur sera-t-il mis à certains moments dans une situation analogue à celle des sourds. Se retrouvant par instants dans une histoire uniquement signée, dans une langue qu’il ne comprend pas. « Nous sommes vraiment partis de la langue des signes pour cette création, ce n’est pas une traduction », explique la marionnettiste. « C’est une écriture qui n’est pas figurative, elle est poétique, riche et très visuelle. J’avais envie de partir des possibilités de cette langue et d’écrire visuellement avec elle, de m’en servir comme matériau dans l’espace ». Dans l’espace, une marionnette donc, mais aussi et surtout un danseur, Andy Scott Ngoua, chorégraphe gabonais qui expérimente l’exclusion dans sa vie personnelle, lorsqu’il se retrouve confronté au racisme mais aussi dès sa jeunesse par le regard porté sur la maladie. Il nous confie que personne ne pensait qu’il réussirait à faire quelque chose de sa vie. C’est le cirque, les arts martiaux, puis la danse qui lui permettra de se trouver. Lui qui vient de l’afro-fusion, et puise son énergie dans les danses traditionnelles africaines où « l’on se considère juste comme le canal entre le ciel et la terre pour permettre leurs échanges », nous explique-t-il. La passion pour les contes rassemble les deux artistes. Et notamment pour celui-ci dont, comme le souligne Laurie Cannac, « la fin est positive parce qu’il arrive à bâtir une identité » et à se relier aux autres. « C’est quand le petit canard se découvre lui-même, en voyant son reflet, qu’il est capable d’entrer en contact avec l’autre ». Laurie Cannac convoque aussi les lumières. Ces dernières dessineront les quatre saisons et les étapes initiatiques que devra franchir le volatile, avant sa métamorphose. Un éveil des sens et du cœur pour faire entendre le chant sensible et silencieux du cygne.
La langue des cygnes de la compagnie Graine de vie mis en scène au théâtre Mouffetard, du 9 au 22 mars.