Dans Mineur non accompagné, Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel rendent compte sur un mode poétique de leur expérience dans un centre d’accueil pour sans-papiers de moins de dix-huit ans. A découvrir au Théâtre national de Strasbourg.
Comment prouver que l’on est mineur ? Pour les jeunes garçons ou filles ayant fui leur pays sans être accompagnés par leurs parents, cette question apparemment triviale revêt une importance vitale. Avoir moins de dix-huit ans pour qui ne possède pas de papiers d’identité, c’est avoir la possibilité d’être accueilli dans un centre spécialisé pour « mineurs non accompagnés ». Dans le cas contraire, le risque est grand d’être renvoyé dans son pays d’origine ou simplement livré à soi-même sans le moindre soutien. Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel ont séjourné plusieurs semaines dans un de ces centres, situé dans les locaux d’une ancienne colonie de vacances au milieu d’une forêt normande. Auteurs et metteurs en scène, leur travail s’inspire du Groupe d’Information sur les Prisons (GIP) qui, dans les années 1970, avait pour but de donner la parole aux détenus et professionnels impliqués dans le système carcéral. Sur ce modèle, en 2015, ils ont fondé le Groupe d’Information sur les Ghettos qui à partir de protocoles d’enquête recueille des questions auprès de populations diverses pour nourrir une réflexion collective sur les mécanismes d’exclusion et de repli. Cette démarche prolonge le travail mené de longue date par Sonia Chiambretto, dont des pièces, comme Chto ou Mon képi blanc, construisaient à partir de faits réels une parole poétique.
On retrouve une méthode similaire dans Mineur non accompagné, spectacle co-créé avec Yoann Thommerel. Au premier abord, leur approche qui consiste à vivre aux côtés des jeunes hébergés dans cette ancienne colonie de vacances est comparable à la démarche d’un journaliste ou d’un sociologue. Mais quand on demande à Sonia Chiambretto quelles questions ils ont posé à ces garçons, sa réponse révèle un mode opératoire sensiblement différent. « Nous ne leur avons pas posé de questions, parce que tout le monde déjà les interroge sur leurs parcours, sur comment ils sont arrivés là. Au lieu de ça, nous avons partagé leur quotidien et celui des éducateurs qui les encadrent. Ce sont des enfants qui ont traversé des épreuves. Certains ont été torturés ou violés. Avant tout, ils ont besoin d’être rassuré. En passant du temps avec eux est apparue une notion importante, celle de suspicion. Ils sont en permanence suspectés de toutes sortes de choses : de mentir sur leur âge, de mentir sur leurs trajets, et ainsi de suite. Dans ce centre, ils vont recevoir une formation, travailler comme apprentis dans le village voisin, envisager l’avenir en bâtissant un projet professionnel. »
Ces jeunes, venus pour la plupart d’Afrique du Nord, de Guinée Konakri, d’Afghanistan ou du Pakistan partagent tous une même passion pour le football. « C’est tellement important pour eux, que c’est devenu un motif central de la pièce, explique Yoann Thommerel. Dès qu’ils ont un moment de libre, ils jouent au foot. Donc le décor est un terrain de foot. On utilise dix-huit ballons usagés qui évoquent la dernière coupe du monde. » Avec le temps, des liens se sont noués. Cette relation constitue le cœur du spectacle illustré de photos prises par les jeunes du centre. Ce qui pose la question complexe de savoir à quel point cette œuvre relève du documentaire ou du théâtre. Sonia Chiambretto : « Ce n’est pas seulement un documentaire parce qu’il y a un important travail de création littéraire, de mise en souffle des récits. On part de ce qu’on a vécu, de ce qu’ils nous ont raconté d’eux-mêmes, de leurs rêves, de pourquoi ils sont là. Ce qu’ils nous ont confié, il faut le transmettre sans le trahir. C’est quelque chose d’extrêmement délicat. Pour cette raison, nous avons choisi d’interpréter le spectacle nous-mêmes. Il n’était pas possible cette fois de passer par des intermédiaires. »
Mineur non accompagné, de et par Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel. Théâtre national de Strasbourg, du 17 au 25 mars.