La programmation de la nouvelle édition du légendaire festival chorégraphique rappelle le rôle fondamental de l’art dans un monde qui perd la tête.
C’est fait, la programmation 2023 de Montpellier Danse a été dévoilée par son directeur Jean-Paul Montanari, monument s’il en est du paysage chorégraphique. Et pourtant, serait-ce sa dernière édition ? Lui qui dirige ce festival phare depuis quatre décennies en évoque la possibilité. Mais personne n’y croit. Et surtout : « Ce n’est pas de la nostalgie, c’est autre chose !» Voilà ce qu’il dit au sujet d’une programmation qui tire des fils croisés entre l’histoire de la danse et son éternel avenir, de Pina Bausch à Boris Charmatz, de Dominique Bagouet et Jean-Claude Gallotta avec des pièces intemporelles de leur répertoire à des créations qui peuvent tout autant être enracinées dans la tradition. Prenez Rive de Dalila Belaza qui prend racine dans une création précédente autour de danses traditionnelles de l’Aveyron. On verra aussi des créations d’Angelin Preljocaj, Sharon Eyal et Mathilde Monnier. Son Black Lights pourrait être un titre de Sharon Eyal, laquelle décide à son tour d’investiguer le sentiment amoureux par sa danse fulgurante, tant appréciée à Montpellier comme ailleurs, en allant Into the Hairy – une manière d’être là où les choses s’emmêlent. Quant à Black Lights de Monnier, il s’agit de partir de violences subies par les femmes, d’histoires réelles : dix histoires de corps, mises en mots par dix écrivaines ensuite mises en danse par Monnier.
Les œuvres du passé peuvent être plus indulgentes avec l’existence, le temps écoulé aidant. Alors, nostalgique, cette édition ? Plutôt combative, dirions-nous. Justement dans une époque que Montanari caractérise par une perte de considération pour l’œuvre d’art dans une société qui se tourne vers le spectaculaire et l’événementiel qu’elle tend à confondre avec l’artistique. Sans parler des remous venant de la pandémie, la guerre et autres conflits qui s’annoncent. Il est alors salutaire de revenir aux chocs que peut nous procurer ce qui a été pensé, imaginé et créé à d’autres époques, pas si lointaines. Palermo Palermo de Pina Bausch, pièce où s’écroule un mur métaphorique. Une pièce tournée vers l’avenir, qui prône l’ouverture. Serait-ce le contraire de la nostalgie ? Et comme le Tanztheater Wuppertal sera présent, il amène dans son sillon non seulement son actuel directeur Boris Charmatz (mais l’inverse pourrait être tout aussi vrai), mais aussi deux chorégraphes qui sont d’anciennes et très grandes figures ayant marqué la troupe du vivant de Pina Bausch, à savoir Anne Martin qui interroge, seule en scène le souffle de la vie dans Umwandlung (transformation) et Nazareth Panadero, qui sera sur scène dans Palermo Palermo. Elle vient avec deux pièces autour de la peur et de l’espoir, dont Mañana temprano : « Nous partons tôt demain matin, loin d’ici, et nous recommencerons à zéro… »
Rien n’a encore filtré sur la création d’Angelin Preljocaj qui sera ici entourée de deux reprises, sa sublime interprétation de Noces de Stravinsky et le très spirituel duo Annonciation. Mais elle fera le lien, de manière subtile et universelle, entre l’histoire de la danse et son évolution à venir. Ce qui pourrait être le thème général de cette 43e édition de Montpellier Danse, avec aussi des tables rondes qui interrogent ce que la mémoire apporte au présent, en danse à travers la recréation des œuvres. Car là aussi, c’est une manière de défendre leur rôle dans une société vivante, comme le souligne Pierre Pontvianne qui crée à Montpellier Danse une nouvelle pièce, en l’occurrence œ, comme pour lier en une seule lettre « originel » et « éternel », soulignant que « chaque création est l’occasion de donner naissance à un monde. » Quant à Nadia Beugré, l’Ivoirienne au pied-à-terre à Montpellier (et inversement) puise dans son quartier d’Abidjan des perles humaines et scintillantes de la vie nocturne pour mettre en scène leurs talents et revendications. Elle appelle cette nouvelle création, aux interprètes transgenres, Prophétiques (on est déjà né.es). Les prophéties ne sont pas toujours noires et Montpellier Danse reste un phare qui rayonne fort dans les villes préférées de Jean-Paul Montanari : Marrakech, Montréal et Tel Aviv, toutes réunies dans cette édition.
43e édition de Montpellier Danse du 20 juin au 4 juillet 2023