Le MO.CO présente 122 artistes et plus de 350 œuvres, soit deux générations de peintres dans une ampleur inédite.
« Immortelle est une exposition de combat ! » lance Numa Hambursin, le directeur du MO.CO. Depuis le début de sa carrière, ce jeune chef d’établissement culturel au verbe engagé s’est donné comme mission la défense de la peinture figurative française. Au milieu de la foule venue assister au vernissage, un collectionneur passionné me confie : « C’est l’exposition que j’attendais depuis longtemps, car acheter du figuratif, pendant plusieurs années, s’est fait sous le manteau, c’était pire que d’acheter de la pornographie ! Cette exposition montre qu’il y a bien une génération d’artistes de talent qui n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient, la preuve étant qu’il y avait beaucoup de collectionneurs à l’inauguration ». Autant dire que l’atmosphère vibrait de l’excitation des moments historiques. « Il fallait un Numa Hambursin pour avoir le courage de faire cette exposition » me glisse à l’oreille une des artistes exposées. Il faut dire que la conjoncture est idéale, à l’heure où une peinture figurative adolescente, tout juste sortie d’école d’art, se vend déjà à prix d’or chez des galeristes en vue. Ce phénomène, que certains nomment « le retour de la peinture », constitue un terrain favorable pour réhabiliter la génération précédente, celle des peintres nés entre 1970 et 1980, dénigrée et rejetée par les institutions durant plus de deux décennies, en regard de cette toute jeune génération qui ne pourra jamais avoir idée du chemin de croix de ses aînés. Disette versus opulence. Le contraste est fort mais semble pourtant ne pas défriser ceux qui recherchent désormais le dernier jeune peintre à la mode alors qu’hier ils criaient haro sur les chevalets. Il n’y a qu’à lire les critiques des rares expositions organisées entre 1990 et 2000 sur la peinture figurative en France pour se rendre compte du mépris adressé à ce médium considéré comme has been. La doxa de l’art conceptuel et la croyance messianique dans les nouveaux médias avaient alors touché la majorité de l’intelligentsia culturelle, des bancs des écoles d’art aux cimaises des institutions, décourageant les artistes de prendre les pinceaux et limogeant les plus résistants, au nom de la sacro-sainte idée duchampienne. Mais c’est bien mal connaître la peinture que de la déclarer dépassée. C’est à peu près la même chose que de considérer Hugo mort au profit de ChatGPT.
Génération résistante
C’est à cette drôle d’époque qu’Amélie Adamo réalise sa thèse sur la peinture figurative française des années 1980. Elle découvre alors la puissance formaliste de Stéphane Pencréac’h, le ténébrisme viscéral de Ronan Barrot, les subtiles paysages et déjeuners sur l’herbe d’Abel Pradalié, la fulgurance coloriste de Cristine Guinamand, le trait percutant de Raphaëlle Ricol, les gris troublants de Youcef Korichi, la mélancolie d’Iris Levasseur, la poésie symboliste de Simon Pasieka, l’imagerie ensorceleuse de Katia Bourdarel, autant de noms qui se retrouvent rassembler dans l’exposition du MO.CO. dont elle est la co-commissaire avec Numa Hambursin afin de démontrer, au travers d’un panorama à ce jour inédit dans un lieu muséal français, l’importance de ces peintres inclassables tant ils sont différents, éclectisme qui a sans doute contribué à la reconnaissance difficile d’une scène bien identifiée. Personne ou presque ne s’étant attaqué à réaliser un matériel critique concernant cette « génération résistante » selon l’expression de Numa Hambursin, pourtant traversée d’amitiés et de compagnonnages artistiques passionnants, sous le ciel d’aînés tutélaires (Vincent Bioulès, Jean-Michel Alberola, Marc Desgrandchamps, Djamel Tatah, Vladimir Veličković…).
Hybridation esthétique
« C’est le parti pris d’une peinture réaliste, humaniste, caractérisée par l’épaisseur du médium, le télescopage des écritures et l’hybridation des références. C’est cette physicalité, cette sensualité, ce désir de peindre qu’on a voulu faire ressentir » développe Amélie Adamo en soulignant la présence du tragique, de l’histoire, de la violence, de l’inconscient et du vertige des espaces. Ils sont la dernière génération de peintres avant l’arrivée du numérique, avant que les images n’envahissent nos cerveaux et nos rétines. Ils sont donc une génération de la fin d’une époque, profondément ancrée dans le récit mythique de la grande histoire de l’art liée à l’authentique pratique d’atelier mais forcément perturbée, voire mise en concurrence, par la fécondation de l’image rapide et facile, dénuée de chair. Ici se joue donc un combat de titans, celui du temps long contre le flash, celui de l’incarnation contre Second Life. À quoi bon peindre encore, puisque les nouveaux médias sont désormais l’avenir de l’art contemporain ? Ils sont donc la dernière génération pleinement érotique, pleinement tragique, pleinement christique. Celle qui a transmis la foi non négociable dans la peinture. « Ils puisent dans l’histoire de l’art sans limites, comme des autodidactes, le 19e siècle l’emporte sur le 20e siècle, Courbet sur Matisse. Ils sont baudelairiens » abonde Numa Hambursin. De son côté, Olivier Kaeppelin, historien d’art et infatigable défenseur de la peinture voit en eux « un refus de l’embrigadement, d’une lecture univoque, caractérisé par des tableaux non statiques ». On plonge dans les perspectives sensuelles d’Abel Pradalié, dans l’imagerie foisonnante de Nazanin Pouyandeh, dans la spiritualité mordorée d’Axel Pahlavi, dans le souffle de Youcef Korichi, dans la dextérité de Till et Léopold Rabus, dans l’hyperréalisme de Thomas Lévy-Lasne. Sur le mur du fond de la plus grande salle, devant l’immense triptyque de Stéphane Pencréac’h sur les attentats de Charlie, les yeux se figent, happés par une déflagration émotionnelle. Chez Adrien Belgrand, Guillaume Bresson et Karine Rougier, de quelques années plus jeunes (nés en 1982), se lit déjà le glissement vers une esthétique différente. La virtuosité technique des deux premiers évoquant le défi de la peinture à l’hyper-minutie des images numériques, la poésie malicieuse de la troisième irriguant de fraîcheur une palette qui sera définitivement tournée vers des tons plus frais et un dessin du corps plus plat chez les 33 artistes émergents exposés au MO.CO Panacée (nés après 1990), dont les scènes domestiques ont abandonné la complexité formelle et la conscience politique de la génération précédente pour évoquer la froideur et la solitude de notre monde connecté, au risque que l’image peinte ressemble au scroll d’Instagram. Ici, Jean Claracq, Nathanaëlle Herbelin, Romain Ventura, Diane dal Pra et Myriam Haddad se démarquent par leur jouissance de la couleur ou leur délicate nostalgie, exploratrice de l’intime.
Certains commentateurs regrettent déjà une exposition trop foisonnante. Aurait-il fallu ne montrer que des pièces majeures ? Numa Hambursin assume le parti pris inverse à l’appui de la mise en lumière d’une scène entière, féconde et généreuse, encore incomprise, dont cette exposition permet d’en découvrir l’amplitude esthétique et dont le temps saura détacher les grandes figures qui apparaissent ici et en écrire l’histoire. Cette exposition démontre avec force que la peinture est signe des temps. Est-ce une coïncidence si elle fait son retour alors que les bouleversements du monde font rage ? En cela, par sa capacité à défier la marche de l’histoire, la peinture est bien immortelle.
Immortelle. Vitalité de la jeune peinture figurative française, jusqu’au 4 juin au MO.CO. et jusqu’au 7 mai au MO.CO Panacée, moco.art