Menaces de mort, librairies annulant son passage, mises au pilori sur certains médias, protection policière…l’écrivain affronte une tempête woke à l’occasion de la sortie de Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé * Pourquoi tant de haines ? La parole est à l’accusé (d’office)…
Votre livre devrait s’appeler Confessions d’un hétérosexuel totalement cancellé…
Quand Houellebecq était sous protection policière je trouvais que c’était la classe absolue, maintenant je comprends que ce n’est pas si drôle que ça ! Qui aurait cru qu’en France, en 2023, un écrivain doive être protégé par trois camions de flics pour donner une conférence dans une librairie bordelaise ? Qu’une autre à Paris, Galignani, annule ma présence la veille de la rencontre ? Qui aurait cru qu’une anonyme sur Twitter appelle à me brûler, moi et mon livre, au lance-flammes, image éloquente à l’appui ? Qui aurait cru qu’une « humoriste » sur France Inter lise sans la moindre preuve des calomnies répandues sur Twitter ? J’ai connu bien des vicissitudes dans ma vie d’écrivain : licenciement brutal de ma boîte de pub, garde à vue pour détention de stupéfiants (en 2008 la police m’arrêtait, aujourd’hui elle me protège !!), menaces de procès pour certains de mes livres sulfureux, mais là, j’avoue que ça dépasse tout.
Ce qui vous arrive est tellement énorme que je me demande si vous n’avez pas créé vous-même le buzz sur Twitter avec de faux comptes…
Oui, effectivement, ces personnes sont rémunérées par Albin Michel (rires.) Plus sérieusement, je n’ai rien organisé mais la situation devient effectivement cocasse car le livre marche très bien. C’est un réflexe normal : tenter de censurer un livre, c’est donner envie de le lire. Tout ceci serait ridicule s’il n’y avait cet anathème de violeur alors que je n’ai jamais violé personne. C’est abject.
Mais n’est-il pas possible de porter plainte lorsque votre probité est en jeu, avec tout ce que cela peut impliquer de dramatique pour vos proches ?
Je pourrais mais je n’en ai pas envie car je ne suis justement pas dans la logique de celles et ceux qui me calomnient. Les filles qui m’insultaient devant la librairie Mollat à Bordeaux ne voulaient même pas discuter, elles me faisaient des doigts d’honneur et m’injuriaient. J’ai toujours eu l’habitude de dialoguer et là, je me suis retrouvé confronté à une nouvelle espèce de contradicteurs refusant à l’autre l’accès à la parole. C’est très violent.
Mais que vous reproche cette ultra-minorité de censeurs ?
Elles me reprochent, si j’ai bien compris, de faire l’apologie de la culture du viol. Qu’est-ce, selon elles, la culture du viol ? Une notion assez floue qui englobe le fait pour un homme d’aimer parler du désir masculin. De l’érotisme. Moi, j’écris un livre en réfléchissant à la notion d’hétérosexualité aujourd’hui. Un homme ayant toujours aimé et admiré les femmes, fantasmant sur elles dans la rue toute la journée. Mais tout cela reste de l’ordre du fantasme. Il suffit de lire « La passante » de Baudelaire pour comprendre ce que je dis :
« Ainsi je voudrais une nuit
Quand l’heure des voluptés sonne
Vers les trésors de ta personne
Comme un lâche ramper sans bruit ».
Ce n’est pas la culture du viol, c’est un fantasme poétique.
Vous citez Baudelaire. Je pense que le problème de cette mode de l’anathème jeté à la figure du premier venu ou de la première venue provient aussi d’un déficit de culture. Au lieu de réfléchir, on flingue parce que l’on n’a aucun d’argument étayé.
Oui, c‘est vrai, il y a un déficit certain de ce côté-là. Les filles qui me condamnent au pilori n’ont pas même pas lu mon livre mais pour elles, ce n’est pas le plus important. Quelques personnes se sont scandalisées du titre qui, pourtant, n’a rien d’agressif et tout s’est enflammé. Elles ont imaginé un bouquin qu’elles ont condamné en demandant qu’il soit brûlé avant même qu’il soit publié. Des femmes ont prétendu avoir par le passé repoussé mes avances, ce qui en soi n’a rien d’illégal, juste pour me disqualifier. Pour m’interdire de promotion. L’autre soir chez Mollat j’ai fait rire l’assistance en déclarant en préambule : « si toutes les femmes avec lesquelles je me suis pris des râteaux publiaient leurs témoignages, Twitter imploserait ! »
C’est une nouvelle stratégie très efficace en Amérique : on essaie de tuer dans l’œuf l’auteur pour des raisons diverses afin que son livre ne soit pas publié ou qu’il ne soit pas invité dans des émissions.
Oui, exactement. Ce qui explique que les émissions se soient déroulées d’une façon très spéciale. Les journalistes craignent de paraître complaisants vis-à-vis d’un livre qui déclenche des polémiques sur les réseaux sociaux.
Vous voulez dire que désormais les réseaux sociaux décident du sort d’un livre avant sa sortie ?
C’est possible, et c’est nouveau comme phénomène. Je suis habitué à écrire des livres qui provoquent. J’ai connu des débats, des discussions à la télé, à la radio, dans les journaux mais là c’est un déferlement de haine et d’injures. Résultat : lorsque j’arrive sur certains plateaux, les journalistes se sentent obligés de faire mon procès. On me fait la morale, comme si j’étais un enfant désobéissant. Tout ça pour donner des gages à Twitter. France Inter pratique l’information à géométrie variable. Quand Paul B. Preciado déclare chez Sonia Devillers qu’il ne faudrait plus mentionner le sexe des enfants à leur naissance dans les maternités, elle ne bronche pas, alors que c’est une idée plus contestable que tout ce qu’il y a dans mon livre. Mais pour moi, le pire reste le billet de Sophia Aram relayant des tweets de délation sur ma vie privée, sans jamais recouper l’information ou me contacter pour recueillir ma version. Je trouve cela lunaire.
Pensez-vous que ce climat de terreur est la traduction de la réalité de l’emprise de l’idéologie WC (Woke Cancel) ou est-ce un épiphénomène de mode ?
Ces militantes ne se rendent pas compte que tout ça a déjà existé. Des temps où la censure était la première marche vers l’emprisonnement puis la mort. Au début, je ne prenais pas le wokisme très au sérieux, je pensais que c’étaient des fantasmes des médias de droite mais en fait, vivant cela au jour le jour, je peux vous dire que c’est un phénomène bien réel. Tout est fait pour détruire l’autre et le pire c’est que certains y croient ! J’ai deux projets de films qui sont tombés à l’eau en une semaine. Moi, j’ai juste écrit un livre expliquant que je suis un fou des femmes, que ce n’est pas un crime de les aimer. Les libraires annulent mes séances de dédicaces effrayées par la violence de ce nouveau totalitarisme. Ils se disent : Melissa Da Costa pas de problème, Beigbeder ça craint! Je ne peux même pas leur en vouloir car je comprends qu’on puisse avoir peur. Le but de la cancel culture, c’est de censurer et de foutre la trouille.
Regrettez-vous d’avoir écrit ce livre ?
Absolument pas. Au contraire, je pense que nous sommes à un tournant et que ces méthodes n’ont que trop duré. Si mon livre a une utilité, c’est de montrer qu’on reste un pays libre. Un type très connu m’a confié l’autre jour : « je n’aurais jamais osé écrire ce livre car c’est trop dangereux : aujourd’hui une poignée de wokistes n’ont aucun mal à « tuer » quelqu’un d’innocent si tel est leur bon vouloir ». Ces trolls appliquent les bonnes vieilles méthodes maoïstes avec des leviers de pouvoirs et de destructions inimaginables il y a quelques années. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’ils ont échoué. Pour conclure, je voudrais citer ma philosophe préférée, Gloria Gaynor : « I will survive ! »
*Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, Frédéric Beigbeder, éditions Albin Michel, 164p., 19,90 €.