Spectacle musical initié par Philippe Cohen Solal et mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo, Tango y Tango est la première incursion du romancier Santiago Amigorena dans l’univers du théâtre.
Un danseur âgé qui ne danse plus. Une jeune femme en quête de ses origines. Des époques et des lieux qui se superposent – du rio de la Plata aux rives de la Seine. Comme on déchiffrerait les couches d’un palimpseste, présent et passé jouent à cache-cache dans Tango y Tango, spectacle musical conçu par Philippe Cohen Solal du Gotan Project sur un livret signé Santiago Amigorena. À des oreilles françaises, le mot « tango » évoque le fait de tanguer et donc peut-être de chavirer. Et il y a quelque chose de ce mouvement proche du déséquilibre quand au bout de quelques pas de danse, la femme bascule en arrière tandis que son partenaire la retient par le bras tout en se penchant au-dessus d’elle. Il en est de même pour la musique dont les accents nostalgiques font dériver l’âme dans une rêverie vaporeuse teintée de mélancolie.
Né en Argentine où il a passé les premières années de sa vie avant d’arriver en France quand ses parents ont fui la dictature militaire dans les années 1970, Santiago Amigorena ne partage pas l’opinion générale des amateurs de tango pour qui il s’agit d’abord d’une danse et d’une musique. « Pour moi comme pour beaucoup d’Argentins, le tango ce sont d’abord des chansons dont on connaît les paroles par cœur. C’est comme Barbara, Brel ou Brassens pour un Français. Le tango est en moi depuis toujours. Je ne l’ai pas choisi, c’est quelque chose qui me constitue. J’entendais du tango enfant en Argentine. Adolescent, avec mes amis, on chantait du tango. » Cette imprégnation par ce qu’on peut considérer comme un marqueur de la culture argentine est d’autant plus remarquable que ses parents, sans doute en raison de leur relation complexe avec un pays qu’ils furent obligés de quitter, n’aimaient pas particulièrement le tango. « Quand je raconte ma vie dans mes romans, ça peut parler très vite du tango », analyse Amigorena qui écrit depuis plusieurs années une œuvre d’inspiration proustienne mêlant autobiographie et fiction. Rien d’étonnant donc si Philippe Cohen Solal lui a proposé de signer le livret de ce spectacle. Pour l’écrivain, par ailleurs réalisateur de cinéma et auteur de nombreux scénarios, cette première incursion dans l’univers du théâtre repose sur des éléments apparemment très simples : une salle un peu décatie où on boit et on danse sur de la musique et l’évocation à travers la relation entre un homme et une jeune fille d’un Buenos Aires disparu. Il y a Juan d’aujourd’hui et Juan d’autrefois et Jeanne, en quête de ses origines qui lui pose des questions sur le tango. La mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo intercale entre chaque séquence des images filmées en Argentine comme des visions du passé. S’inspirant de chansons célèbres auxquelles il en ajoute d’autres de son cru, Santiago Amigorena élabore une atmosphère générale où le passé s’infiltre comme par bouffées.
Le souvenir d’une femme obsède Juan. Elle s’appelait Ada et tenait une milonga, un de ces lieux où sur les rives de la Plata on danse le tango. « Avec Marcial, on a ce souvenir de la confiteria Ideal, un salon de thé à Buenos Aires où, au premier étage, on danse le tango. Mais les milongas sont en général des lieux plutôt tristounets sans décoration avec des chaises dépareillées un peu comme une salle des fêtes. C’est ça qu’on a voulu reproduire dans le spectacle. » Quant à Ada, c’était « une femme très forte qui tenait le monde », dit un des personnages. Ada disparaît dans les années 1970, victime sans doute comme tant d’autres de la dictature. « Le tango est une pensée triste qui se danse », est-il dit dans le spectacle, selon la définition d’Enrique Santos Discèpolo. Pour Jorge Luis Borges, le tango est « une longue suite d’adieux ». Pour Amigorena, c’est « le vrai lieu où se rejoignent l’amour et la mort, la mémoire et l’oubli », livrant peut-être la clef de cette évocation sensible d’une réalité insaisissable.
Tango y Tango, livret Santiago Amigorena, musique Philippe Cohen Solal (Gotan Project), mise en scène Marcial Di Fonzo Bo. Théâtre du Rond-Point, Paris du 10 mai au 25 mai