C’est l’une des maisons d’opéra les plus stimulantes : l’Opéra du Rhin vient d’annoncer sa nouvelle saison. De Wagner au contemporain, du baroque à la musique française, tour d’horizon de ce qui nous attend l’année prochaine avec son directeur, Alain Perroux.
Dans ces temps difficiles pour les maisons d’opéra, que pouvez-vous nous dire de la saison qui vient de s’écouler à l’Opéra du Rhin ?
Nous sommes confrontés à des difficultés diverses qui se sont accentuées depuis 2022, mais ça fait pas mal d’années que nos subventions stagnent, ce qui équivaut à une baisse, puisqu’il y a inflation. Cette situation nous a obligés à faire des ajustements, et à renoncer à une production d’opéra l’année prochaine. Mais comme partout : le syndicat professionnel, par le biais de Loïc Lachenal, a annoncé qu’il y aurait 24 productions qui auraient dû avoir lieu l’année prochaine et qui ont été abandonnées. À cela s’ajoutent pour nous des travaux. Mais c’est une bonne nouvelle, ils sont attendus depuis vingt ans, des travaux de réfection, de mises aux normes, d’agrandissement de l’opéra, à l’horizon 2026. On conservera les productions dans un autre lieu.
Dans votre saison, on retrouve la musique allemande, le contemporain, le goût des œuvres rares ou oubliées marquent une nouvelle fois la programmation 23/24…
L’identité d’un opéra se construit sans cesse : il convient à la fois de s’inscrire dans l’histoire de l’institution, tout en créant son futur. Par exemple, il y a une ancienne tradition des œuvres rares et des premières françaises à l’Opéra du Rhin : Wozzeck, Jenufa, L’Amour des trois oranges ou la femme sans ombre de Strauss, ou, plus récemment, la ville morte de Krongold, ont été créés ici. Et je m’intéresse aux œuvres méconnues, parce qu’il y a réellement des chefs d’oeuvres méconnus.
Et cette fois-ci, il s’agit d’un opéra baroque, et d’un opéra du siècle dernier…
D’une part, Polifemo qui a été écrit pour les plus grands artistes cet opéra, notamment pour Farinelli, en 1738, l’on en connaît un air qui a été repris par le film Farinelli. L’œuvre dans son entier n’a pas été enregistré en France, or c’est une splendeur.
Guercoeur est une autre singularité, puisqu’il a été créé vingt ans après la mort de son compositeur, Albéric Magnard, mort pendant la Première Guerre mondiale en protégeant son manoir, mais depuis cette création à Paris en 1931, l’opéra n’a plus jamais été donné en France. Il s’agit d’une splendide partition, à l’intersection du postwagnérisme et de la musique française, avec un chef qui est parmi les meilleurs du monde, Ingo Metzmacher.
Vous ouvrez par une création contemporaine, comme chaque année. Cette fois-ci, une relecture de Don Giovanni par Simon Steen Andersen…
Oui, grâce à la proximité du festival Musica, même si cette création est portée par l’opéra du Rhin. Cet artiste a imaginé un objet singulier, qui a un potentiel pour devenir un spectacle très populaire : il part de la scène finale de Don Giovanni, au moment où le séducteur plonge dans les enfers, et le suit. Le spectacle va être une traversée des enfers, on verra des démons, des personnages suppliciés, tout cela de manière surprenante, ludique, ponctuée de références à la culture populaire, avec une forte présence de la vidéo, qui nous entrainera dans des recoins inexplorés de l’opéra du Rhin, dans les entrailles du théâtre. Simon Steen Andersen a fait un collage complètement fou de scènes d’enfers, il reprend Wagner, Glück, Puccini…Un spectacle total, très drôle, porté par l’opéra du Rhin.
Vous cherchez une musique contemporaine ouverte au plus grand nombre ?
Absolument, nous cherchons à casser un cliché qui veut que la musique contemporaine soit une musique âpre, rébarbative. Ce fut parfois vrai, mais ça ne l’est plus. IL y a aujourd’hui un plus grand enthousiasme pour l’opéra chez les compositeurs, d’un opéra qui renoue avec la narration, avec l’émotion. Quand vous savez qu’au MET, les plus grands succès sont les nouveaux opéras, par exemple Breaking the waves qui vient d’être présenté à l’Opéra Comique, c’est un signal fort.
Côté danse, vous présentez aussi une adaptation d’On achève bien les chevaux par l’équipe chorégraphique de Bruno Bouché. D’où est née cette idée d’adapter cette œuvre culte ?
À la fois de l’idée de l’idée de Bruno de s’adapter à la faculté de notre compagne de danse, qui a une haute technicité, mais qui ne fait pas de ballet classique, même si on fait du néo-classicisme, comme William Forstyhe. C’est une compagnie qui peut aborder à tous les styles. Voilà pourquoi Bruno aime aborder d’autres genres, ce qui me plaît beaucoup. Par exemple, les danseurs du ballet ont participé au West side story, et ce fut une collaboration heureuse, ce qui est rare, vous savez que souvent les ballets dans les opéras, sont souvent des états dans l’état, qui n’aiment pas collaborer à des opéras…Or, Bruno est demandeur de ce type de projets. Mais là, c’est un autre type de projet, que ce On achève bien les chevaux puisque se rencontrent 30 danseurs de notre compagnie, et 8 comédiens de la compagnie de Clément Hervieu-Léger. Au cours de leurs discussions, ils ont eu l’idée de mêler danse et théâtre, et au fur et à mesure, on ne distinguera plus les danseurs et les acteurs.
Enfin, très attendu, vous présentez un nouveau Lohengrin..
Il y a une ancienne tradition d’opéras wagnériens joués ici. Le dernier Wagner a eu lieu en 2020, donc il me semblait opportun d’en reprogrammer un, et puis dans les discussions que j’ai menées avec Michael Spyres, l’un des grands ténors d’aujourd’hui, je lui ai demandé s’il pensait au répertoire wagnérien, car sa voix, rossinienne à l’origine, a pris une tessiture, une richesse, des couleurs qui pouvaient le mener vers Wagner. Ce sera son premier grand rôle wagnérien sur scène, et ce sera ici.