Invité par la Fondation François Schneider, Abdelkader Benchamma invente une immense odyssée dessinée.

L’eau est sur toutes les lèvres. Ou plutôt le manque d’eau. Sécheresse et rivières rendues à l’état de maigres ruisseaux creusent désormais des paysages de paille, quand ce ne sont pas les flammes qui ravagent des hectares de forêt. Emmanuel Macron vient même de présenter son « Plan Eau » sous le signe de la sobriété. En jeu notamment, la diminution prochaine de l’écoulement dispendieux de l’eau potable de nos robinets. Dans ce contexte, la programmation artistique de la Fondation François Schneider, qui a pour thème unique l’eau, se pare d’un intérêt renouvelé. Eau jaillissante, miraculeuse, régénérante, élixir divin des grands mythes de l’humanité, ressource cruciale des générations futures. C’est entre les flancs paisibles des ballons d’Alsace, nichée entre lacs de glace et forêts de vénérables feuillus, là où le temps et le réchauffement climatique semblent ne pas encore avoir de prise, que la Fondation a trouvé un havre de paix, au sein même du grand bâtiment qui embouteillait autrefois la source pure de l’eau minérale de Wattwiller. Sa grande architecture, aussi lumineuse qu’un jet de flots cristallins, est l’écrin idéal pour inviter des artistes reconnus à explorer les mystères et les vertus de l’élément liquide. 

Cet été, Abdelkader Benchamma investit les lieux. Comme à son habitude, il fait surgir sur les murs, d’immenses lignes d’encres noires et brunes qui se déploient à la manière de tentaculaires paysages géologiques. Le tracé évolutif suivant sa main, à moins que ce ne soit l’inverse, tant les formes fécondées semblent soudainement douées d’une énergie à part entière, l’artiste se laissant guider par les caprices de ses alluvions et architectures imaginaires. Il y a quelques mois, à la galerie Templon, ses grandes volutes rythmées de stries et d’effritements, filaient la métaphore des circonvolutions moirées des marbres des églises baroques alors qu’il revenait tout juste d’un séjour à Palerme. Il me confiait alors son désir de créer un espace faisant ressentir tous les aspects poreux et chtoniens d’une grotte. Songe des souterrains, frissons des origines de la terre qui envelopperaient nos corps et l’horizon de nos regards. La carte blanche que lui donne la Fondation Schneider lui permet de réaliser en partie cette utopie artistique, filant cette fois la métaphore du cheminement complexe de l’eau, de dérivations en détours incroyables, suivant l’image mystérieuse de l’infiltration de l’onde à l’intérieur des pores de Gaïa. Naissent des reliefs spectaculaires, émaillés de grands filaments bleus, évoquant l’idée d’une source inconnue qui suinterait sur la roche et en abreuverait les interstices. Que ce soit le bruit du déluge chrétien ou celui des Zoroastriens, on pense inévitablement au chaos diluvien, événement de fin du monde et de renaissance. Et surgissent des images symboliques. « En ce jour-là, se fendirent toutes les sources de l’immense abîme d’eau et les écluses des cieux s’ouvrirent » dit la Genèse.

Abdelkader Benchamma. Géologie des déluges. Du 13 mai au 24 septembre 2023, Fondation Schneider, fondationfrancoischneider.org