Récemment, une lettre retrouvée de Dali à André Breton a enflammé les réseaux sociaux donnant lieu à une campagne de dénigrement de l’artiste relayée par certains médias comme Les Inrockuptibles. En cause : son allégeance supposée à l’hitlérisme. Nous avons rencontré Jean-Michel Bouhours, historien d’art, actuel commissaire de l’exposition L’argent dans l’art à la Monnaie de Paris et co-commissaire de la rétrospective sur Dali au Centre Pompidou en 2013 pour qu’il nous éclaire sur la figure complexe de l’artiste.
Salvador Dali était le roi de la provocation et a toujours été controversé. Pouvez-vous nous éclairer sur ses rapports au franquisme, au nazisme et au communisme ?
Dali était inapte à la politique. Il s’est déclaré communiste au début des années vingt. Le pire du point de vue politique que Dali fit, fut son allégeance au dictateur Franco : le Portrait équestre de la petite-fille du Caudillo sera une de ses pires productions. S’agissant de l’hitlérisme, il y a deux choses à différencier : d’une part, l’interprétation délirante du personnage d’Hitler – les tableaux représentant Hitler ne sont pas apologétiques… ce que souligne Paul Eluard en 1934 pour défendre Dali au moment de son procès. Un exemple : Dali déclare qu’Hitler provoquait chez lui « un délicieux frisson gustatif… qui (le) conduisait à une extase wagnérienne ». D’autre part, la proposition faite à Breton en 1934, d’un dépassement révolutionnaire de la lutte des classes par la lutte des races. Pour autant, prétendre aujourd’hui que Dali a été hitlérien est parfaitement stupide et contreproductif, car pour être nazi, il faut impérativement être antisémite : c’est le cœur du réacteur idéologique nazi si je peux dire. Or, Dali n’a jamais manifesté le moindre comportement ou idéologie antisémite : Gala, sa femme, avait des origines juives et le peintre a célébré l’histoire juive dans de nombreuses œuvres. Sa lutte des races relève de Sade et non de la solution finale.
Aujourd’hui, c’est la sphère des réseaux sociaux qui s’empare de sa personnalité pour dénigrer l’artiste. Comment peut-on éviter cette simplification voire falsification ?
Personne ne sait aujourd’hui comment lutter contre le fléau propre aux réseaux sociaux de la simplification voire de la caricature de la pensée. Le journaliste d’El Pais prétendait tenir un « scoop » avec la découverte d’une lettre dans les archives d’André Breton, qui ne révélait rien de plus que ce que l’on connaissait déjà. Mais il faut reconnaître à l’article le mérite de resituer des sources disparates chez Dali, toutes étrangères à l’idéologie hitlérienne. Ensuite tout cela est malaxé, amalgamé dans des messages ne devant pas dépasser 280 caractères. No more comment…
Et sur sa relation avec Pablo Picasso ? Dali a-t-il réagi à Guernica ?
Dali n’a pas réagi directement à Guernica. Mais il vivait sa relation à Picasso comme deux héritiers de la grande peinture espagnole du « Siècle d’or » qui étaient en situation de concurrence au XXe siècle. Picasso ne va pas répondre aux diverses sollicitations du catalan. Dali a peint le tableau Construction molle avec haricots bouillis en 1936, qui prendra le titre de Prémonition de la guerre civile, un tableau montrant des corps qui se strangulent, au moment où, devant l’instabilité politique de son pays, il avait fui pour l’Italie, la France puis les États-Unis. Le tableau n’est pas partisan car Dali n’a pas l’étoffe d’un héros, ce serait même un anti-héros que la violence terrifiait.
L’argent dans l’art, jusqu’au 24 septembre, Monnaie de Paris, monnaiedeparis.fr