Lav Diaz, avec Quand les vagues se retirent, nous plonge à travers un enquêteur dans une campagne anti drogue ultra-violente aux Philippines, posant de graves questions morales. Un chef-d’œuvre.
Comme chez Apichatpong Weerasethakul, il y a parfois dans les propos de Lav Diaz une dimension tellement compatible avec l’Occident contemporain et ses roucoulades progressistes contre tel ou tel populisme, que cela devient lassant. Mais chaque fois qu’ils me laissent une telle impression, ils me démontrent également qu’en dépit des réseaux sociaux, la mondialisation des esprits et des idées ne fonctionne pas encore complètement. Ce qui chez nous est hypocrite, là-bas est un acte courageux pouvant entraîner de sérieux problèmes. Moins qu’en Chine populaire, il est vrai, mais il n’empêche : en dénonçant nommément Rodrigo Duterte, l’ancien président des Philippines toujours très populaire, via ses deux personnages de flics « à l’extrême fin de leur aventure » comme dirait Céline, Lav Diaz se met en péril. Tout d’abord, il faut être précis : Quand les vagues se retirent est un chef-d’œuvre. Un noir et blanc scintillant, poudreux, argenté, comme sous l’effet d’une pixellisation contrôlée pour produire ce grain à l’écran. Tout de suite, on est dans une œuvre où le réel se lit du point de vue du cinéma et de ses prestiges. On pourrait certes convoquer l’attirail habituel de la cinéphilie concernant le polar, le western, mais ça n’aurait pas grand intérêt au fond. Moi, ça ne me rappelle rien sinon les nuits aux Philippines, et ce mélange dans les rues de police officielle et officieuse, avec des types portant le masque à tête de mort de Call of Duty, et qu’on voyait patrouiller en 2017-2018 à Davao, Manille ou Angeles à la recherche de dealers et de camés vrais ou faux pour les abattre. C’était l’époque de la guerre contre la drogue déclarée par le président Duterte, et qui constitue la matière de cette nouvelle production de Diaz. Donc, deux flics. L’un, Hermes, la quarantaine, est considéré comme le meilleur enquêteur du pays et il enseigne à l’école de police. Cocu, flingueur et pétri de souffrances morales, il est en pleine déréliction. L’autre, Supremo, est son ancien maître. Il sort de taule. Jadis, il a été lui aussi le meilleur des flics. Dans une scène où il est allongé, entouré de quatre prostituées, il se raconte à la troisième personne du singulier. Après avoir assisté à un massacre, il est tombé dans le kidnapping, la corruption, le crime. Hermes l’a découvert et dénoncé. Il est revenu pour se venger de son disciple. Voilà. Autour, il y a des personnages tout sauf secondaires : une sœur, un coutelier, des prostituées, un grand nombre de prostituées. Il y a des plans fixant les danses pathologiques de Supremo torse nu dans sa piaule. Il y a le psoriasis géant rongeant le corps et le visage d’Hermes. Il y a la violence et la culpabilité de ces deux officiers. Il y a les Philippines et ses pluies entre deux typhons. Il y a cette sensation d’égouttement différente mais aussi précieuse que chez Tarkovski. Il y a l’évangélisme de Supremo, baptisant autant qu’il peut des êtres apeurés par son attitude. Et il y a l’ambiguïté. Alors, on s’aperçoit que Diaz capture un flux, celui de la folie des hommes, lucides d’être emportés par elle et incapables de lui résister.
Quand les vagues se retirent, Lav Diaz, avec John Lloyd Cruz, Ronnie Lazaro, Epicentre, sortie le 16 août
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