Exit above, after the tempest marque le retour d’Anne Teresa De Keersmaeker à la musique blues et pop dans une rhapsodie autour de La Tempête de Shakespeare. Révélation d’une éblouissante chanteuse : Meskerem Mees. L’un des évènements de la Biennale de Lyon, à l’Opéra.
L’ange de l’histoire ouvre Exit Above, after the tempest : jeune danseur à l’allure d’éphèbe, il nous invite à un solo étourdissant, d’une sophistication et d’une vitesse folles, comme Keersmaeker en a le secret. Nous voici face à l’Angelus Novus d’une toile de Paul Klee, ange pris dans la tempête tel que Walter Benjamin, cité au début du spectacle, le décrivait : « Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. » Une nouvelle fois, c’est Benjamin, le penseur de l’épuisement de l’histoire et du récit, qui vient porter une création contemporaine. Ici une œuvre chorégraphique extraordinairement puissante : sur la jeunesse, sur l’inquiétude écologique, ou simplement sur le possible espoir à offrir à la nouvelle génération.
Celle-là même qu’incarnent au plateau onze jeunes danseurs, nouvelle troupe de Teresa de Keersmaeker, qui apparaissent et déambulent sur la scène nue. Walking and walking, ligne d’horizon de la chorégraphe qui affirme ici le minimalisme qui la fonde. Au centre donc, cette troupe composée de corps, d’allures, d’origines multiples, réunis par une imparable vigueur que leurs costumes sobres et ultra-contemporains renforcent.
Au départ, un guitariste rend hommage au bluesman Robert Johnson, puis survient celle qui s’avère l’extraordinaire révélation du spectacle : Meskerem Mees. Elle que l’on distinguait à peine parmi les danseurs, entame un premier chant et impose son timbre de soprano, parmi les bruits des pas et des corps dansants. Néerlandaise d’origine éthiopienne, elle a vingt-quatre ans, et déjà une carrière entamée. Pour ce spectacle, première collaboration avec Keersmaeker, elle a composé des chansons empruntant à Shakespeare et à la Tempête ( Prospero Song est une des plus marquantes), comme à un imaginaire panthéiste et biblique, pour dire la peur face à la tempête qui « souffle tout droit du paradis ».
Des sons pop, lyriques ou frôlant le hip-hop, elle joue sur tous les registres, à l’image d’une chorégraphie qui s’amuse par instants à reprendre des gestes de danses populaires ou urbaines, pour mieux les réintroduire dans la danse si singulière de Keersmaeker. Peu à peu, la petite jeune femme au timbre transparent devient l’Ariel de cette Tempête, qui, en contrepoint de l’ange de l’histoire, formule la réponse possible à la fatalité historique. Esprit des temps et des lieux, elle est aussi le totem de ce groupe qui se soude et se décompose en autant de duos, solos. En pure atmosphère shakespearienne, nous sommes aussi bien placés sous le signe de l’ésotérisme, des formes géométriques sont dessinées au sol, que du charnel, les duos sont aussi sensuels que parfois triviaux (les danseurs feignent de vomir plusieurs fois). Keersmaeker dont on connaît à la fois la passion rationnelle et le mysticisme ( sa conversation à long terme à Bach suffirait à en témoigner), trouve dans ce dispositif, groupe de danseurs, solistes et chanteuse, un lieu pour déployer une œuvre comme toujours aussi fluide que mystérieuse.
Exit Above, after the tempest, Anne Teresa De Keersmaeker, Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts et Carlos Garbin,
Opéra de Lyon, la Biennal de Lyon, les 20, 21 et 22 septembre . Plus d’informations