Radio France fête le centenaire du lumineux György Ligeti (1923-2006) par 4 concerts reflétant la vitalité insatiable d’un compositeur qui se réinventa constamment.
Juif hongrois de nationalité roumaine à sa naissance, devenu autrichien après s’être établi à Vienne, György Ligeti est un compositeur marqué par l’Histoire, dont les traumas du XXe siècle irriguent toute l’œuvre. Fils d’une ophtalmologue et d’un employé de banque écrivain contrarié, il entendra son père taper à la machine des romans la nuit dans la petite ville de Transylvanie où sa famille vit, puis à Cluj, chef-lieu de région où il étudie au Conservatoire. Ce cliquetis nocturne de la machine à écrire paternelle lui inspirera des musiques mécaniques, notamment son Poème pour 100 métronomes. Interrompant ses études en 1943 en raison de mesures antisémites, toute sa famille meurt dans les camps dont son père et son frère, lui seul avec sa mère échappant aux déportations. Après-guerre il part étudier à la rigoureuse Académie Franz Liszt de Budapest. En 1956, lorsque les chars soviétiques envahissent la Hongrie, Ligeti s’échappe et s’installe tout d’abord à Cologne car c’est la ville de Stockhausen, pour enfin s’immerger dans la musique de son temps. Il avait jusque-là composé des œuvres inspirées de Bartók, notamment la pré-minimaliste Musica ricercata pour piano, avec son sol martelé et réitéré « comme un coup de poignard dans le cœur de Staline », confia-t-il. En l’Europe de l’Ouest Ligeti s’épanouit et trouve son style dans l’effervescence d’une musique contemporaine alors en plein essor créatif avec Boulez, Berio, Messiaen, Nono. Il commence à concevoir ses jeux d’illusions sonores, tout un fourmillement intérieur dont Atmosphères pour grand orchestre en 1961 est la quintessence de cette écriture faussement statique qui sera interprétée par François-Xavier Roth à la tête de l’Orchestre National de France. Le même soir sera joué Lontano, créé en 1967, pièce la plus poétique de Ligeti, fascinant mouvement évolutif d’un rêve onirique se déployant en scintillements miroitants puis se repliant dans son écrin. À la tête de son ensemble les Siècles, Roth jouera les micro-polyphonies du Concerto de chambre pour 13 musiciens de 1970, avec parfois jusqu’à 13 vitesses superposées – une par musicien – avant de basculer vers le style tardif du compositeur avec le Concerto pour piano de 1988 et ses asymétries virtuoses inspirées des polyrythmies de la musique africaine. Ligeti conçut aussi des pièces condensant un intrigant lyrisme magnétique qui séduisit Kubrick qui illustra 2001 odyssée de l’espace de plusieurs de ses pièces et revint à sa musique dans Eyes Wide Shut. Cette inquiétante étrangeté du compositeur qui culmine dans son Requiem s’avère en fait une conjuration de l’holocauste juif, un cri d’effroi et d’horreur exprimant toute cette horreur qui le toucha directement. L’autre versant de son art poétique, ironique et absurde, sera représenté par Le Grand macabre, anti-opéra de 1978 mis en espace par Benjamin Lazar, où la fin du monde devient une farce rabelaisienne et pataphysique, avec comme dans toute son œuvre, une sophistication et une beauté musicale prégnante à chaque instant.
György Ligeti / François-Xavier Roth à la Maison de la Radio, le 23, 26, 28 novembre et le 2 décembre. Maisondelaradioetdelamusique.fr