À travers ce fabuleux livre d’entretiens, nous découvrons un Nick Cave, superstar rock et poète, dans sa part la plus intime et dans son travail de création.
Il y a livre d’entretiens et livre d’entretiens. Combien de livres d’entretien ai-je pu lire, soporifique, anecdotique. Et il y a des livres d’entretiens comme celui-ci : qui creuse, profond, et encore plus profond ; poétique, car Cave parle comme il écrit ; fou, car Cave évolue en eau trouble. Alors que découvre-t-on sur ce chanteur dont les paroles se hissent au niveau de celles d’un Dylan ou d’un Cash ? Un Cave, en plein confinement, dévasté par la mort de son fils Arthur. Mort le 14 juillet 2015 en tombant de la falaise Ovingdean à Brighton. Il avait pris un acide. Il avait 15 ans. Cave y revient sans cesse : sa vie est radicalement bouleversé ; sa musique aussi. Il y avait le Cave d’avant, de jeunesse, de l’ancien Testament. Le sang, la vengeance, la violence. Ses albums d’alors en sont le reflet. Il exècre aujourd’hui ce « nihilisme » de jeunesse, ce « cynisme » dégueulasse. Cette punkerie imbécile et destructrice. Un Cave enterré, dit-il, pour un Cave ressuscité, adepte, amoureux du Nouveau Testament, empli de douceur, de miséricorde, d’envie de beauté, de trouver cette beauté, dans la musique, dans la nature, et surtout, dans les êtres. « Les êtres humains sont formidables. Des créatures délicates et subtiles. »
Le Christ est devenu son guide, il recherche Dieu, le divin doute, toujours et encore : sa musique, ses paroles, ses mots, se nichent là, précisément. « Je suis d’un tempérament profondément conservateur, traditionaliste ». La pratique, les rituels catholiques l’emportent. Il lutte contre un rationalisme qui gagne avec l’âge, frein à la grande création : « Mon moi rationnel a perdu de sa superbe ». Pour lui, c’est une bonne nouvelle. Son scepticisme ? « Je le trouve étriqué et contre productif, il est bon qu’à faire obstacle à la possibilité d’une vie mieux vécue. »
Tous ses derniers albums ne sont que le reflet de ce changement : le Christ face au diable, loin derrière lui. Pour qui a vu un concert de Nick Cave comprend mieux : la scène est pour lui un moment de communion comme il y en a dans les églises. Pourquoi aime-t-il tant jouer en public ? Pour apporter joie et réconfort à des gens, qui comme lui, sont confrontés à la laideur du monde, et à sa tragédie. Arthur. « Une mission christique, évangélique, de faire sortir les auditeurs de leur souffrance. »
Il cite les poètes qu’il lit et relit : Ocean Vuong, Stevie Smith. On ira lire. Il les aime car « dérangeant à cause de cette veine de fureur qui les traverse ».
Cave synthétise son œuvre. Ses chansons ? « J’ai l’impression que c’est toujours l’histoire de quelqu’un qui fait ses adieux, balance ses bagages sur la banquette arrière pour prendre la route. »
Il y a du Kerouac chez Cave, sans doute. La route, le catholicisme, le détraquage. Ou des paroles de Cave comme celle-ci qui rapprochent les deux poètes : « Beauté aberrante sous une lune mouillée, tu fonds lentement au bord d’une piscine de motel. »
Je ne croyais pas un jour pouvoir écrire qu’un livre d’entretiens puisse être un chef-d’œuvre. Ce jour est arrivé. Merci corbeau.
Nick Cave, Sean O’Hagan, Foi, espérance et carnage, traduit de l’anglais (Australie) par Serge Chauvi, Quai Voltaire, La table ronde, 320p., 24,80 €, plus d’informations