A mille lieux de tous les édifiants biopics, Sofia Coppola narre sur un ton très sarcastique l’échec de l’amour entre Priscilla et Elvis Presley.
Il était une fois au fin fond de l’Amérique – celle des plaines du Middle West, parmi les ploucs et autres bouffeurs de fried chicken, une souillarde que Dieu avait voulue bien mise de sa personne. Par miracle, et quelques tours de passe-passe, celle-ci fit un jour la connaissance du beau et très sexy Roi du rock’n’roll, lequel en tomba amoureux entre deux pas de twists. Il l’installa dans son Palais de Grâce (Graceland) et en fit sa reine. Pour le malheur de la souillarde qui découvrit, en devenant femme, qu’aussi bien bâti, fortuné et désirable soit-il, le mâle peut s’avérer décevant. Ainsi peut-on résumer l’intrigue chétive de Priscilla qui raconte comment une gamine mineure devint l’idéale féminin d’Elvis Presley au moment où celui était en train de conquérir de ses charmes l’univers. Énième conte de princesse de la dauphine Sofia Coppola, après les idéales vierges suicidées, objets de toutes les convoitises pubères, Marie Antoinette et jusqu’aux récentes Proies, remake splendide du chef-d’œuvre de Don Siegel, film mal aimé, mal étreint. Car de quoi s’agit-il ici sinon de deux gosses que l’Amérique idolâtre ou jalouse, deux nigauds régnant sur le cosmos pop des années 60 et incapables de s’aimer. Campé par l’échalas drôlatique (Jacob Elordi), Elvis est un gros gars balourd et charmant, bête, bon et beau comme Appolon, gigantesque comme un Titan, incapable d’aimer, de pénétrer et de jouir avec sa promise. Qu’est-ce qui bloque l’érection royale ? Elvis aime-t-il Priscilla (la révélation Cailee Spaeny) ou aime-t-il l’idée de s’exhiber avec elle ? Elvis choisit-il Priscilla car son image est adéquate à celle de la virginale reine qu’exige de lui son agent publicitaire ? Priscilla est d’abord une ado béate d’admiration, une admiratrice sans goût, une fan, bref une consommatrice qui croit au rockeur charmant. Elle se découvre femme au cours d’une scène extraordinaire de comédie : couchés sous les baldaquins dans leurs pyjamas bariolés, Elvis est chaussé de binocles en cul de bouteille et lit à sa queen des aphorismes philosophiques. Priscilla regarde hors champ, caressant l’auguste torse de sa Majesté en attendant que celle-ci lui prodigue (en vain) d’autres délices, plus terrestres. Scène extraordinaire d’un comique placide qui montre combien ces deux-là demeurent, jusque dans leur intimité, victimes de leur rôle et de leur image. Elvis est si noyé dans la sienne qu’il n’entend rien à son propre désir. A force de confondre leur être avec leur avatar médiatique, cet homme et cette femme passeront à côté du grand amour. La sécheresse coutumière du trait fort sarcastique de Sofia Coppola n’empêche pas la tendresse. Au contraire, elle rend sa satire plus nuancée et plus juste sur la mélancolie d’une jeunesse se sachant prisonnière de ses reflets. Elle fait de Priscilla la plus splendide de ses héroïnes, laquelle réussira à affronter ses chimères, échapper à la noyade de son Narcisse, reconquérant son corps et défiant ses rivales jusqu’à s’arracher, au cours d’une scène tragique et burlesque, à l’homme qu’elle aurait voulu aimer.
Priscilla, Sofia Coppola, avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi, ARP selection, en salle le 3 janvier