Yoann Bourgeois suspend le Requiem de Mozart entre cascades vertigineuses et rotations migratoires.
« Délivre-les de la gueule du lion, afin qu’ils ne soient pas engloutis par l’abîme et qu’ils ne sombrent pas dans les ténèbres » : Seraient-ce ces lignes du Requiem de Mozart qui auraient inspiré à Yoann Bourgeois sa trépidante vision scénique de la fameuse composition inachevée ? Mozart malade, une composition sur commande, une envolée en musique sacrée… Vers le ciel ou en direction des ténèbres ? Face au chœur, huit danseurs se jettent dans le vide ou tournent à l’épreuve de la force centrifuge. Mis à rude épreuve, ils surnagent sans pouvoir saisir une main secourante, pour s’engouffrer lentement dans les trous qui avalent les humains et leur désespérance. Car le Requiem de Mozart est une histoire de trous et d’inconnus, jusque dans son écriture même. Trous comblés après sa mort par un de ses élèves, Franz Xaver Süßmayr, pas forcément le plus apprécié du maître. Mais il fallait achever le manuscrit pour éviter d’avoir à rembourser l’avance reçue pour la composition. Constance, la veuve, demanda donc à Süßmayr de composer à la place de son mari et d’en imiter le style. Aujourd’hui on sait faire la différence entre les fragments de Mozart et les compléments. Aussi Laurence Equilbey, directrice musicale du projet et cheffe de l’Insula Orchestra, a décidé de n’en garder que les parties authentiquement mozartiennes, entre lesquelles elle laisse apparaître des trous, béants mais comblés d’ambiances sonores électroniques, comme pour rappeler ces trous noirs de l’univers qui avalent tout sur leur parcours.
« Comme des larmes coulent les corps, sur la page noire du destin », répond Yoann Bourgeois à la messe chantée en latin. Haut perché, le chœur suit du regard la chute des individus dans leur glisse fatale. Inlassablement, ils remontent et retombent, tels des naufragés qui s’accrochent à l’espoir d’être sauvés par les bonnes âmes du haut, mais échouant à jamais. Leur lutte pour la survie est aussi spirituelle que beckettienne, aussi désespérante que gracieuse. Et on devine, à travers le noir, cet escalier aux marches cubiques, agrès emblématique de Bourgeois depuis qu’il interroge la relation des corps à la gravité. Ils tombent ensuite sur une tournette géante, autre repère parmi ce que le chorégraphe circassien appelle « dispositifs » et dont il opère un arsenal impressionnant. Par la rotation qui peut s’accélérer fortement, c’est la force gravitationnelle qui s’empare des corps et leur impose une autre lutte. Sur cette longue route vers nulle part, ils s’effondrent un par un, marcheurs de misère dans le désert, de l’âge biblique à nos jours. Et les chanteurs de descendre vers eux, pour les rejoindre dans la condition humaine, marchant peut-être vers le « son éclatant de la trompette, se répandant au milieu des tombeaux ». Ce Requiem chorégraphié scelle la rencontre entre les certitudes de Mozart sur le feu éternel et les incertitudes contemporaines, non sans s’achever dans l’espérance, quand les glisses en quasi-apesanteur se font finalement joyeuses et apaisantes.
Requiem de Mozart, Chorégraphie : Yoann Bourgeois, Direction musicale : Laurence Equilbey à La Seine Musicale, du 12 au 14 janvier. Plus d’informations