Shlomo Sand, historien d’extrême gauche, tente de relire le sionisme avec son dernier livre, Deux peuples pour un Etat. Des aberrations, des inexactitudes, et une haine anti- israélienne très suspecte.
Une anecdote fera sourire en ces temps de grosse tempête. Elle concerne une discussion entre Théodore Herzl et Martin Buber. Le philosophe confie au théoricien de l’Etat juif qu’il souhaite démissionner du journal viennois Die Welt, qui est à l’époque l’organe d’expression du mouvement sioniste. Herzl demande pourquoi. Et Buber répond « Pour fonder une opposition ».
Dans son dernier Opus, Deux peuples pour un Etat ?, Shlomo Sand, qui se présente comme un historien, voudrait tirer Buber et d’autres penseurs dont il retrace le parcours – Ahad Haam, Hannah Arendt, Bernard Lazare…- vers sa propre obsession, l’Etat binational dont il ne cesse de marteler l’exigence tout au long du livre. Son approche consiste à relire l’histoire du sionisme en utilisant toutes les méthodes de la culture « Woke » et de la déconstruction, en glissant à l’occasion ici et là – ça ne mange pas de pain et ça fait tellement plaisir – quelques rudiments d’écriture inclusive. Las, s’il suffisait d’avoir recours à la pensée dite « éveillée » ou de multiplier les attentions graphiques au masculin et au féminin, pour résoudre la question israélo-palestinienne, cela se saurait.
Telle n’est d’ailleurs pas l’intention de l’auteur. Son livre a d’ailleurs été rédigé avant la guerre du Hamas contre Israël et avant même le retour de Netanyahu au pouvoir. C’est dire s’il est daté, et le plus souvent à côté de la plaque. Nouveau et intéressant, disait naguère un célèbre critique littéraire d’un ouvrage qu’il était chargé de chroniquer, ajoutant malheureusement que ce qui est nouveau n’a aucun intérêt et ce qui est intéressant n’est pas nouveau.
L’auteur commence par une profession de foi. Il est en proie à « de nombreuses hésitations théoriques » (visibles même pour ceux qui n’ont pas lu les ouvrages précédents, dont les titres sont suffisamment éloquents : « Comment la terre d’Israël fut inventée », « Comment j’ai cessé d’être juif »…) L’historien clame à la cantonade qu’il souhaite de tout cœur la création d’une république palestinienne indépendante. Louable intention et aveu méritoire. Malheureusement, depuis plus de 75 ans, chaque fois qu’on les a interrogés, les Israéliens disent qu’ils souhaitent un Etat palestinien à côté d’Israël. Mais ils sont majoritairement d’avis que ce souhait a peu de chance de s’accomplir. Plutôt que d’enfiler des perles et des ponts aux ânes, on eût aimé que l’auteur nous renseignât sur les moyens de résoudre cette équation.
L’idée de faire le récit de cette extraordinaire aventure intellectuelle que fut le « Brith Shalom » n’est pas mauvaise en soi. On se demande seulement si l’auteur était le choix idéal pour raconter cette page d’histoire. Lui qui traite David Ben Gourion de « démagogue », les propositions d’Ehud Barak de « manœuvres » et le retrait de Gaza voulu par Ariel Sharon une « cantonisation » des territoires palestiniens.
Le fil rouge du livre consiste en un improbable et anachronique tête à queue entre les années vingt au XXe siècle et les mêmes années vingt un siècle plus tard. Il se déclare très proche d’Edward Saïd, universitaire américain, lui-même très favorable à un Etat démocratique et laïc. Mais où a-t-il vu une démocratie à l’œuvre dans quelque pays arabe que ce soit, ou dans quelque morceau de territoire palestinien ? La solution proposée, loin de renforcer la démocratie là où elle existe déjà, va contribuer à la faire disparaître au profit d’une utopie, celle d’un Etat binational « libre et démocratique ».
Il agite à nouveau l’étendard de l’Apartheid. Faut-il rappeler à l’éminent historien que plus de 21% d’Arabes israéliens vivent à l’intérieur des frontières de la ligne verte ? Où est l’Apartheid là-dedans ? Il faut ajouter que dans cette situation que subit Israël, de guerre sur plusieurs fronts, avec une menace d’extension régionale, le calme règne pour l’instant sur ce front-là (et on n’en est pas, contrairement à ce que raconte M. Sand, à un risque de « bombardement démentiel de la mosquée Al-Aqsa », d’où tient-il une telle aberration ? Il y a suffisamment de menaces pour éviter d’en inventer !)
Plutôt que de lire la prose épaisse de M.Sand, on a plutôt envie de recommander dans ces colonnes deux romanciers israéliens de talent qui parlent d’autre chose mais qui néanmoins s’adressent à nous depuis l’œil du cyclone. L’une est la nièce de Méir Shalev, Zeruya Shalev, élève et admiratrice d’Amos Oz. L’autre est le petit fils d’un ancien premier Ministre d’Israël (dont il a fait du nom un prénom), Eshkol Névo, lui aussi héritier de la figure tutélaire des lettres israéliennes. Disciple d’Oz, il partage son goût de la politique, le courage de dire les vérités qui dérangent, et l’amour du pays. Et pour ceux qui s’intéressent à l’histoire du sionisme, les ouvrages ne manquent pas. A titre d’exemples, Qu’est-ce que le sionisme ? et Sionismes, textes fondamentaux de Denis Charbit (Albin Michel), et Histoire du sionisme par Walter Laqueur (Gallimard).
Shlomo Sand, Deux peuples pour un Etat ? Relire l’histoire du sionisme, traduit par Michel Bilis, Seuil, 256p., 21€, plus d’informations