À la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, l’artiste peintre Pierre Seinturier revient sur son parcours avec sincérité et légèreté, au fil d’une œuvre qui continue de brouiller les pistes entre dessin et peinture.
Profession peintre. C’est à cet intitulé un brin suranné qu’a tenté de répondre avec humour Pierre Seinturier (né en 1980) revenant alors sur sa pratique déployée depuis plus de dix années aux côtés de la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois. Pour ce faire, il s’est forgé un protocole intime et imaginaire où chaque œuvre présentée répond à une commande toute fantasmée, c’est-à-dire inventée et passée à lui-même…. Et qu’elles prennent l’aspect d’une image de carte postale ou bien celle d’une affiche pour un ballet national, les peintures de Pierre Seinturier possèdent la grâce, si ce n’est le pouvoir, de pressentir l’instant d’un drame à venir ou passé. Un flux s’établit en effet au sein de ses compositions, scellant ainsi une véritable opposition entre le gel d’une pose apparente et le rythme d’une action si bien que sous leur apparente naïveté, mystère et poésie se confondent sans prendre le soin ni même le temps d’avertir la réalité, esquissant un sentiment d’attente angoissée tout comme une tension narrative digne d’un maître du suspense.
Gagnés par une végétation luxuriante qui se pourrait être effrayante, les environnements paraissent comme rêvés tant la clarté aveuglante d’une clairière répond aux espaces assombris d’une forêt. Partout, règne une intimité close et Pierre Seinturier déploie alors une grammaire plastique où les subtils contrastes de tonalité sont exploités au profit de leur grande simplicité. Parfois, à la faveur d’un luminisme nuancé, une menace sourde pèse sur l’image et favorise l’expression concise d’une attitude, celle d’une présence tangible et pourtant presque immatérielle. Car ici, les notions de mimétisme sont convoquées afin d’opérer un authentique camouflage de figures isolées et de personnages parmi feuilles, branchages et autres frondaisons enchevêtrées : emmêlée dans un imbroglio de réactions contradictoires, leur monstration vire ainsi à la traque et à la cache, semblable à la trame d’un film noir.
Comme pour mieux signifier ce sentiment d’attente, cette atmosphère énigmatique se retrouve renforcée par des images semblant véritablement scénarisées. Car l’artiste semble se délecter dans l’usage de la syntaxe et de la grammaire dont use le 7e art, s’intéressant notamment à ses puissants ressorts diégétiques. Ici en effet, la peinture favorise un processus de réciprocité qui réunit sous le même chapiteau photographie, peinture, cinéma et BD. En découle comme un effet de paramnésie et de confabulation, lequel instille la sensation d’avoir déjà vécu une situation, soit une sorte de “badinage angoissé”, au cœur même de la mémoire, de la nostalgie et des évènements passés, que ces derniers soient vécus ou plus simplement imaginés. On pense aux comics de Robert Crumb, à Blake et Mortimer d’Edgar P. Jacobs ou à Blueberry de Jean Giraud et de Jean-Michel Charlier. Le dessin s’y découvre dans toute la vivacité des traits, dans cette façon d’investir l’espace en le séquençant par de multiples plans. Le geste se fait libre et la peinture, audacieuse, vive, et dans cet univers baigné de mystère et d’étrangeté, la fiction embrasse les contours d’une imagination qu’il nous est donné à voir comme autant d’instants suspendus.
« Pierre Seinturier – Cher Monsieur Peinturier », du 12 janvier au 24 février 2024 à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Plus d’informations