En un récit trépidant et captivant, le chroniqueur de Transfuge Nathan Devers nous convie à suivre les aventures de son esprit, de la religion à la philosophie.
Attention spoiler ! Nathan Devers a beau avoir toujours voulu être rabbin comme d’autres gangster ou pirate, il est devenu philosophe ; il a beau avoir grandi à Auteuil, traversé l’enfance comme Titeuf, c’est-à-dire en obsédé sexuel affublé de Stan Smith, il est tombé fou amoureux de la littérature ; il a beau avoir affronté jeune le miracle du vivant et la futurition de Dieu (quand d’autres combattaient les ennemis de Son Goku), il est devenu émule chercheur de Heidegger. Attention spoiler ! Nathan Devers a beau avoir écrit ses Mémoires, il a 26 ans ! Tout exceptionnel que soit le phénomène et le but atteint (devenir philosophe), comme on le sait, c’est le voyage qui compte et Devers transforme son parcours intime et spirituel en une trépidante et rocambolesque aventure de l’esprit. Que se passe-t-il quand un homme habité de l’idée de Dieu vit en lui-même et dans sa chair la mort de ce Dieu ? Qu’éprouve-t-il quand le monde perd le sens dont il était recouvert ? Suivre l’Odyssée de Devers, c’est l’accompagner dans la réminiscence méticuleuse, quasi méditative de son propre saut dans le vide à la recherche du vrai et au mépris du confort des certitudes et des superstitions dont il s’est défait comme d’autres de leur foyer ou de leur église, mosquée ou synagogue. Pas après pas, de façon tatillonne, il narre ses premiers émois pour le miracle du vivant à sa rencontre sensuelle avec la littérature en plongeant (par hasard ou subterfuges de l’inconscient revenu du Ciel ?) dans Terres des Hommes, des conversations avec son charismatique maître rabbin à ses dialogues intérieurs avec Heidegger, d’un voyage décevant comme un premier coït en Israël à une conférence dans une synagogue, où devenu athée, il s’extirpe d’un piège par une exégèse approfondie du Deutéronome. Nathan Devers nous convie à une épopée mystique. Acquis, certitudes, dogmes et héritages se maillent dans son esprit en rondes de titans, gorgones et dragons sur le chemin escarpé d’épiphanies qui mène à la Vérité. « La nuit commençait et la lecture aussi, l’aventure d’une anthologie utopique où les livres, tous les livres que j’avais aimés, fusionnaient dans ma tête pour n’en former plus qu’un. Un livre infini, sans auteur et sans thèmes car tous y convergeaient, une œuvre impossible et immense qui, à force de se commenter elle-même, embrassait dans son inachèvement la totalité du monde tangible et des vies fantasmées. Une deuxième Bible, un Talmud sans ciel. » Au milieu de ce récit lumineux mais labyrinthique, drôle parce que cinglant, intraitable avec soi et les autres, difficile de ne pas songer au jeune Descartes, ayant osé affronter l’obscurité et le vide pour chercher un point stable d’où forger une philosophie. Comme lui, Devers redonne foi et envie de fuir les chimères du temps pour partir à l’assaut de la vérité.
Nathan Devers, Penser contre soi-même, Albin Michel, 336p., 20,90€