Vaste panorama du cinéma juif à travers le monde, la manifestation Dia(s) porama dotée d’une belle programmation a témoigné de la diversité et de la richesse des films sur la judéité.
Du 22 janvier au 5 février s’est tenue la quatrième édition de Dia(s)porama, le Festival du cinéma juif international. On a pu découvrir en salles dix-sept longs-métrages lors de cet événement. Neuf films de fiction, sept documentaires et une œuvre de patrimoine en version restaurée (le fameux film fantastique polonais de 1937, Le Dibbouk, classique du cinéma yiddish en noir et blanc). Ils furent présentés à Paris, sur grand écran, à L’Escurial et à l’auditorium de l’espace Rachi. Mais également dans quatorze villes de France ! Une grande partie de ces films était aussi disponible en ligne sur une plateforme VOD. Ce qui a réjoui les internautes qui n’ont pas pu se déplacer à la manifestation.
Le jury des fictions présidé cette année par Michel Boujenah comptait des personnalités telles que l’essayiste Rachel Khan, la romancière et scénariste Caroline Bongrand, les acteurs-réalisateurs Patrick Braoudé et Pascal Elbé ainsi qu’un membre du Fonds Social Juif Unifié Katia Toledano. Ils avaient pour mission de départager tous les films en compétition (ce qui fut aussi le cas d’un autre jury, chargé des documentaires). Avec la présence de cinéastes venus du monde entier, toutes les projections furent accompagnées d’échanges avec le public.
Présenté en avant-première, le premier long du scénariste Noé Debré, Le dernier des juifs, met en scène un jeune homme (Michael Zindel, lunaire) vivant seul avec sa mère juive (Agnès Jaoui) dans une cité. Abordant la question de la montée de l’antisémitisme dans les quartiers de banlieue, cette fable drôle et attachante sur les préjugés prône avec intelligence l’entraide et le vivre-ensemble.
Tiré d’une histoire vraie, El amor en su lugar de l’Espagnol Rodrigo Cortés est une œuvre d’une virtuosité étourdissante, qui s’ouvre par un prodigieux plan-séquence de dix minutes. L’action du film se déroule un soir de janvier 1942 dans le ghetto de Varsovie où les nazis ont enfermé 400 000 juifs, mourants de faim, de froid et de maladie. Dans l’esprit du To Be or Not to Be de Lubitsch, ce huis clos situé sur la scène et dans les coulisses d’un théâtre durant la représentation d’une pièce prend pour héros une troupe d’acteurs juifs polonais, dont deux des membres comptent s’évader du ghetto après le spectacle. Un suspense très prenant qui a obtenu à juste titre le Prix spécial du jury. Autre bonne surprise, la comédie My Neighbor Adolf de Leon Prudovsky se déroule en Colombie en 1960. On y suit un vieux juif grincheux (David Hayman) qui vit seul à la campagne. Un jour, un mystérieux allemand (Udo Kier) s’installe dans la maison d’à côté. Le survivant de la Shoah commence alors à soupçonner son voisin d’être un nazi. Et peut-être même Adolf Hitler, qui aurait simulé son suicide pour s’enfuir en Amérique du Sud ! Bien interprétée, visuellement soignée et dotée d’un script malin, cette farce fut une totale réussite. Autre comédie, Paris boutique de Marco Carmel suit une avocate parisienne (l’humoriste Joséphine Draï) qui effectue, juste avant son mariage, un court voyage d’affaires à Jérusalem pour conclure un accord immobilier. Sur place, elle tombe sous le charme d’un bel inconnu (le charismatique Angel Bonanni). Amusant et sans prétention, le film a remporté le Prix du public. Le Grand prix du festival, lui, a été décerné à la comédie musicale décalée Less Than Kosher, sorte de variation féminine sur Le chanteur de jazz (1927) avec Al Jolson. Fort distrayant, ce film canadien raconte le destin d’une jeune chanteuse de pop (l’énergique Shaina Silver-Baird) qui renie ses racines juives et refuse de devenir le chantre d’une synagogue. Truffée de dialogues ironiques et mordants, cette réflexion sur le judaïsme est une œuvre excentrique où l’on consomme abondamment de la marijuana et des champignons hallucinogènes.
Côté documentaires, citons Who’s Afraid of Jewish Humor ? qui revient sur les origines de l’humour juif. On y apprend que Sigmund Freud a écrit un livre sur les blagues juives (Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient). Et que pour ce peuple qui pratique l’autodérision, l’humour est la politesse du désespoir. Consacré au mime Marceau, L’art du silence est une remarquable plongée dans le monde des signes. En effet, ce film retrace le parcours exceptionnel du roi de la pantomime qui, avec son masque blanc et son langage corporel, créa le personnage muet de « Bip » en s’inspirant de Charlie Chaplin. De son vrai nom Mangel, Marcel Marceau a rejoint la Résistance dès 1942 et aidé des centaines d’enfants juifs à fuir en Suisse. Il a aussi perdu son père à Auschwitz en 1944. Avec 300 spectacles par an sur les scènes du monde entier, ce pacifiste fut l’un des artistes majeurs de son temps. Récompensé par le Prix du meilleur documentaire, La Dalkavo Ora (The Final Hour) propose un magnifique voyage. Celui de Deniz Bensusan, une jeune sépharade d’Istanbul, qui réalise que sa langue ancestrale, le judéo-espagnol (connue aussi sous le nom de ladino), est sur le point de disparaître après 500 ans d’existence. Elle décide donc de retrouver la trace et la trajectoire des membres de sa famille à travers toute l’Europe pour préserver son héritage. Des juifs qui ont dû quitter l’Espagne et le Portugal à la fin du XVe siècle pour fuir les persécutions. Porté par la grâce de sa splendide héroïne, La Dalkavo Ora est une œuvre émouvante sur l’histoire, la culture et l’identité juives. Et surtout la transmission.Évidemment, depuis les attaques du 7 octobre en Israël, les réalisateurs d’origine juive s’interrogent sur comment continuer à faire des films ? Et surtout quels films ? Face à cette tragédie, que peut encore le cinéma ? Avant chaque séance du festival, le nom de dix otages détenus par le Hamas à Gaza était cité au micro par solidarité avec les familles des victimes. En ces temps troublés, la prochaine édition de Dia(s)porama devra donc prendre en compte la réalité actuelle du Proche-Orient et poser un regard honnête sur le conflit israélo-palestinien, en faisant écho à cette guerre de manière originale.