Jean-Pierre Filiu signe un livre Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, très contestable. Les Israéliens seraient forcément suprémacistes, les Palestiniens, eux, des victimes, forcément des victimes. Décryptage.
Alors que la perspective de paix au Proche-Orient apparaît plus que jamais chimérique, l’universitaire Jean-Pierre Filiu, professeur en histoire du Moyen-Orient à Sciences Po, donne un livre qui suscite l’intérêt autant qu’il peut provoquer la controverse. Rompant avec une analyse chronologique, l’auteur de Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, opte pour une grille de lecture thématique qui se veut des plus précises. Filiu passe ainsi au crible « trois forces israéliennes » en regard de « trois faiblesses palestiniennes ». Les premières s’appuieraient sur un sionisme historiquement… chrétien, né du courant évangélique du protestantisme anglo-saxon. Un « ancrage biblique » qui mènerait intrinsèquement Israël vers un suprémacisme niant tout droit à l’existence d’un État palestinien. L’État hébreu pratiquerait encore une « stratégie du fait accompli » ruinant tout effort de paix.
Les Palestiniens, eux, seraient victimes et trois fois victimes. D’abord d’un dédain des pays arabes allant jusqu’à l’hostilité armée, ensuite des divisions minant le mouvement palestinien en factions rivales, enfin d’un « Deux poids deux mesures » qui ferait de la communauté internationale un soutien quasi unanime d’Israël (!) Voilà de quoi surprendre. Faisant feu de tout bois, l’universitaire déniche la preuve de ce « deux poids deux mesures » jusqu’à l’insolite. À la question « Les Palestiniens méritent-ils la justice ? » La fameuse application ChatGPT d’intelligence artificielle répondrait : « la justice pour les Palestiniens est un sujet complexe et vivement débattu ». À la même question concernant les Israéliens, l’ordinateur affirmerait : « Les Israéliens, comme tous les autres peuples méritent la justice et la protection de leurs droits ». Conclusion de Filiu : voilà qui « illustre la profondeur du biais pro israélien dans le débat public […] puisque l’intelligence artificielle n’est que le reflet du corpus existant en matière d’opinions sur le sujet ». CQFD. Sauf que ceci est factuellement faux. Filiu se fonde ici sur l’article d’un site égyptien. Or, s’il s’était donné la peine d’interroger lui-même ChatGPT (ce que nous avons fait), il aurait obtenu cette réponse : « Oui, comme tout être humain, les Palestiniens méritent la justice et le respect de leurs droits fondamentaux. La quête de la justice pour tous les peuples, y compris les Palestiniens, est […] un élément crucial pour parvenir à la paix dans la région ». Si Jean-Pierre Filiu écrit avec sincérité que, le 7 octobre dernier, « la lie de Gaza participe à une véritable orgie de sang, de tortures, de pillages », il n’en reprend pas moins à son compte le dénombre des morts annoncés quotidiennement par le ministère de la Santé du mouvement terroriste Hamas qu’il estime « considéré comme une source fiable par l’ONU et les organisations de défense des droits de l’homme ». Pour Jean-Pierre Filiu, les bombardements en cours à Gaza sont une « deuxième Nakba » (catastrophe en arabe), terme propre à la vulgate palestinienne qui désigne d’abord l’exode des Palestiniens en 1948 lors de la création de l’État d’Israël.
Revêtant un peu plus les habits du militant, il clame que « la persistance de l’injustice faite au peuple palestinien n’a pas peu contribué à l’ensauvagement du monde actuel, à la militarisation des relations internationales et au naufrage de l’ONU ». Pour sortir de l’impasse, l’auteur prône la « solution à deux États ». Une solution qui ne peut donc être que politique. Soit, mais voilà qui relève du vœu pieux tant que les terroristes du Hamas n’auront, eux, pour agenda qu’une autre « solution » : une nouvelle Solution finale.
Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné, de Jean-Pierre Filiu, Seuil, 427 p., 24€.