Quelques réflexions sur les (im)postures actuelles dans l’art contemporain et une interrogation sur leur pertinence
A la question : « A quel moment vous avez su que vous souhaitiez devenir artiste ? », voici ce qu’il m’a été répondu : « Je pense que l’on sait qu’on est un artiste à partir du moment où la société vous a reconnu comme tel et que le marché vous a validé ». J’ai failli tomber de ma chaise. Loin de moi l’idée de remettre en cause et de regretter le succès populaire de certains artistes ainsi que leur réussite sur le marché de l’art et de ne romantiquement plaider que pour les artistes maudits ou incompris mais cette réponse, par trop réductrice, me semble révéler une conception très médiatique, communicante – dont le corollaire est la pente glissante de l’opportunisme – et mercantile de l’activité d’artiste. Engendrant par-là l’élimination de la cohorte d’artistes peu ou non exposés, peu ou non primés. Cette réponse m’a été faite par un nouveau « chouchou » de l’art contemporain dont les installations monumentales sont plébiscitées par les institutions, jusqu’au plus haut degré de la commande étatique. Elles sont faites de textiles – c’est la mode – de néons et d’écritures à slogans – vu et revu – et ça a le mérite d’être spectaculaire, en un mot de « l’entertainment », nouvelle tendance de l’art contemporain. Dans cet atelier, j’ai eu droit à 45 minutes de discours verbeux sur l’idée d’un art pluriel, mixant les médiums, réalisé avec toute l’authenticité convenue par une cinquantaine d’artisans du monde entier. Ces derniers auront-ils droit de citer dans les cartels ? C’est le retour au savoir-faire écologique, souligne-t-on, mais qui prend l’avion – il ne faut surtout pas en parler de ça, me chuchote-t-on – couplé à un budget colossal de production. Ironie de l’histoire, l’artisanat vanté – c’est aussi la mode ! – n’est possible que grâce à un studio d’artiste ayant les murs blancs d’une société commerciale habitée par des assistants qui ne regardent que leur ordinateur. Je n’aurai eu droit de voir qu’une seule œuvre laissée dans le vestibule. Les produits dérivés – tee-shirts et autres tote-bag – s’empilent sur les étagères. On apprend que des goodies des œuvres seront même vendus dans la galerie durant l’exposition. Alors on s’interroge. L’artiste, repéré de prime abord pour sa créativité et son positionnement au croisement des cultures, ne vient-il pas de tomber dans la mise en scène remâchée d’un sentimentalisme universel qui ne veut rien dire et d’une bien-pensance conventionnelle dont le seul objectif est de plaire à tout le monde. On peut ajouter que privilégier uniquement le jeu du marché peut entraîner l’alignement de l’art sur des injonctions sociétales, politiques ou économiques. Par exemple quand la biographie de l’artiste s’inscrit dans le politiquement correct du moment. Ce biais, s’il avait au départ de louables intentions d’inclusivité et de désinvisibilisation, semble avoir pris le pas sur les questions de formes. Cela ne consacrerait-il pas un art bourgeois, pompier ? Par ailleurs, une galeriste sur la foire d’art contemporain Paris+ par Art Basel en octobre dernier me confiait justement que la pauvreté ou le systématisme formel des œuvres, telles que celles sous traitées ou issues d’un processus industriel, intéressent moins les collectionneurs : « Ils en ont assez de ces œuvres qui se ressemblent toutes. Ils veulent retrouver le geste de l’artiste ». Et peut-être aussi son courage visionnaire, sa manière d’être au monde en toute liberté, sans carcan ni programme. Un autre galeriste s’étonnait lui du succès des sujets sages et ronronnant de certains nouveaux tableaux, comme « complètement déconnectés de l’actualité ». La dernière Documenta de Cassel en 2022, manifestation pourtant pionnière et émérite de l’art contemporain, a reflété par exemple (pour la coquette somme de 42 millions de dollars) jusqu’à l’absurde et à la polémique un état de l’art qui ne s’intéresse plus aux formes, à l’ambition esthétique, mais uniquement aux artistes et à leur positionnement. Délétère ici puisque la manifestation fut entachée par une fresque contaminée de caricatures antisémites, ce qui a fait dire au critique d’art du New York Times Jason Farago que nous avons assisté à une « rupture ». Ne plus s’intéresser aux formes, ne pas se plaindre de la médiocrité des œuvres, mène bien au non-sens. Le moment ne serait-il donc pas venu de se demander à nouveau, alors que le monde s’embrase et que l’histoire s’accélère dramatiquement, quelle est la définition de l’art et de l’artiste ?