Louis Barreau, Leïla Ka et Marco Da Silva Ferreira : Une soirée de rébellions en crescendo, au festival Séquence Danse du Centquatre.
Le Centquatre-Paris cache bien des choses, tout en offrant un espace d’entraînement en public aux jeunes accros de danses urbaines. Tant d’énergie joyeuse, dans un lieu où jadis on fabriquait les cercueils… Et à l’intérieur des bâtiments, à l’étage (le Centquatre est ici en partenariat avec Danse à tous les étages), on passe devant les ateliers d’artistes pour se retrouver dans la petite salle, où Louis Barreau a dessiné au sol une rosace qu’il complète sous nos yeux, avec son partenaire de scène, Thomas Regnier. À partir de la symétrie de la rosace, tout est parfait dans ce Cantate /2, de la cantate de Bach et de son dialogue avec la musique électronique de Sarah Davachi à l’harmonie des gestes. On pense, inévitablement, à Rosas, la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker. Et le duo Barreau/Regnier paraît alors particulièrement dévoué à la structure, les bras rappelant parfois le grand compas du début avec lequel les deux entouraient le feuillage symbolique et géométrique de la rosace. Dans les gestes des deux et la relation entre eux, on décèle parfois une pointe d’ironie ou s’amorce une facétie, remettant en cause l’ordre céleste de Bach. Mais on est loin de faire trembler l’édifice baroque.
Les choses sont plus tremblantes chez Leïla Ka. Son quintet féminin Maldonne est le phénomène de la saison, une coproduction du Centquatre où la chorégraphe est artiste associée. Et avant même que la pièce commence, le public jubile déjà, puisqu’on lui annonce que Maldonne sera à nouveau programmée à l’édition 2025 de Séquence Danse. Une pièce de danse peut être un succès populaire, et tant mieux si elle prend fait et cause pour les femmes, évoquant leur condition et leur quotidien, dans le travail comme en amour. Unies en unissons, elles apparaissent en mode Pina Bausch ou en pleureuses, ouvrières ou vedettes acclamées par un public imaginaire, si elles ne se mettent pas à traiter le sol, pour le laver ou y laisser leur colère, grâce à leurs robes dont elles serrent un bout entre leurs dents. Des dents, elles en ont et elles le font savoir dans un tableau très théâtral, plein de verve et de drôlerie, où sur des airs de Vivaldi, elles jouent un tableau très vif de chahut et de barouf, très goldonien en somme, et la plus grande surprise de ce spectacle. En somme cependant, rien de vraiment inattendu ou autrement provocateur.
Mais il y avait, en bouquet final lors du parcours en crescendo d’un vendredi soir, le Portugais Marco Da Silva Ferreira. Lui aussi se taille un succès grandissant, ayant trouvé un style festif, lié à la fois aux cultures urbaines, aux traditions populaires et aux communautés originelles. Carcaça est sa pièce maîtresse, un pur fantasme de mouvements grotesques, de pulsions énergétiques, de couleurs arc-en-ciel défiant le noir initial de tableaux et costumes, telle une fantaisie sur le fameux club gay berlinois, le Berghain. Ce rite imprévisible adopte une folie non binaire, entre esprit anarchiste et messe noire, sans parler de ses interprètes dont certain.e.s intriguent par leur corps, leur expression et leur maquillage, de l’ultra-féminin à la masculinité exacerbée en passant par des mélanges incongrus. Des t-shirts rouges peuvent autant être sexy que se transformer en symboles révolutionnaires, pour une danse vaudoue sur une chanson rebelle et antibourgeoise : « Je suis une femme de labeur…/…les bourgeois nous mentent…/…si les patrons restent au pouvoir, les canons nous tueront… » Avec Carcaça, la vie sur scène est aussi foisonnante et trépidante que dans les divers halls du Centquatre, et c’est énorme.
Festival Séquence Danse, Centquatre-Paris, jusqu’au 6 avril