Dans les années 1960, la critique d’art Carla Lonzi s’est entretenue avec 14 artistes phares de la scène italienne. La galerie Tornabuoni Art lui rend hommage dans un accrochage muséal.

C’est un nom méconnu en France mais incontournable en Italie. Carla Lonzi est la grande figure du féminisme italien des années 1970 qu’elle embrasse d’une manière radicale en créant le groupe « Rivolta Femminile » avec l’artiste Carla Accardi et la journaliste Elvira Banotti. Les trois femmes en placardent le manifeste dans les rues de Rome et, dans le prolongement, Lonzi publie Nous crachons sur Hegel, texte iconique qui fera date, son positionnement sans concessions dénonçant les pensées qu’il considère comme totalisantes et patriarcales de Marx et de Hegel. Mais là n’est pas notre propos. L’exposition chez Tornabuoni Art n’évoque d’ailleurs que par une phrase liminaire cet engagement féminisme, s’attachant principalement à la première partie de sa vie, celle de la critique d’art reconnue, proche des artistes de l’Arte Povera, du spatialisme et du groupe romain Forma 1 dont le sujet était de réconcilier la philosophie marxiste avec l’esthétique abstraite. Un livre en témoigne, celui qu’elle écrit en 1969, le dernier avant de s’embarquer dans la voix du militantisme. Autorittrato (« Autoportrait » en français), paru en 1969 – et republié l’an dernier – rassemble ses conversations avec 14 artistes emblématiques de la scène italienne des années 1960, tous anticonformistes, cherchant dans la forme artistique des voies nouvelles pour exprimer les problématiques liées l’espace, au son, au rythme, à la mythologie du pouvoir et à la puissance symbolique des signes. Ainsi l’exposition réunit 14 œuvres (une par artiste) nous permettant de réaliser une traversée de cette génération  qui réfuta le tableau, fit la part belle aux gestes, aux matériaux industriels, au goût du rien dans une perspective de tabula rasa à reconstruire. Des utopies marquées par une attention à la condition de l’individu dans une société en mutation. Un rectangle vert percé de petits trous de Lucio Fontana fait face à un entrelacement de bandages couleur terre de Salvatore Scarpita. Ici, le tableau, en relief, n’est constitué que de matière brute. A côté, un fragment d’une città ideale en acier de Pietro Consagra fait écho aux dérivations graphiques Giulio Paolini qui semble déconstruire l’imagerie baroque du théâtre à l’italienne, tandis qu’une grande plaque de sicofoil de Carla Accardi accueille une répétition gestuelle de taches vert acide dont la transparence annule l’idée même de tableau. Au sous-sol, les signes peints de Jannis Kounellis dialoguent avec ceux de Mario Nigro et de Cy Twombly (seul artiste n’ayant pas voulu répondre aux questions de Carla Lonzi, ce qu’elle mentionne par le mot « silence »). Au centre de la pièce, un cube blanc au minimalisme insolent a été réalisé par Luciano Fabro aux dimensions du corps de Carla Lonzi, vu par l’ensemble de ces artistes comme leur nouvelle « femme de Vitruve ».

Carla Lonzi, Autoportrait d’une génération, jusqu’au 13 avril, Galerie Tornabuoni Art