Ils sont rares les bons livres de montagne. Alexandre Duyck signe incontestablement autour de la fascination que peuvent engendrer les hautes cimes, un remarquable roman.
Au départ de ce roman d’Alexandre Duyck, un fait divers tragique. La disparition d’un couple, en août 1942, à 3 000 mètres d’altitude, en Suisse. Habitant un village de la vallée, ils cherchaient à rejoindre l’alpage, mais se retrouvèrent piégés par le glacier. Il connaissait bien la montagne, pas elle. Leurs corps ne furent retrouvés que plusieurs décennies plus tard, alimentant dans l’intervalle les spéculations les plus fantaisistes.
Mais Alexandre Duyck s’affranchit de cette réalité historique pour en garder la trame d’un conte noir : celui d’une dévoration par la montagne, d’une exploration de l’abîme. Il imagine un couple, Louise et Joseph. Dans leur village des Alpes suisses, il est le cordonnier et elle l’institutrice. Fait singulier et petit miracle dans ce monde d’habitudes étroites, ils s’aiment. Ils n’appartenaient pas au même village, ce qui est déjà une excentricité. « Les Alpes constituent un archipel, les villages sont autant d’îles, on ne passe pas aisément de l’une à l’autre, on préfère se tourner le dos. » Ensemble, ils auront quatre enfants. Par goût de la solitude et des hauteurs, Joseph aime aller parfois dans un chalet d’alpage, à douze heures de marche. Un jour, Louise exige de l’accompagner. La demande est insensée pour une jeune femme qui ne sait rien de la marche sur une pente aussi raide. « On pourrait y voir un caprice, et peut-être en est-ce un ; on pourrait y voir un désir mais le mot est faible, un défi, se prouver à elle-même qu’elle est capable de monter et de redescendre en si peu de temps, tant de kilomètres à gravir en si peu de temps, au même rythme qu’un homme. » Joseph cède… Louise découvre la splendeur de la montagne. « C’est le silence qui la bouleverse le plus ; c’est incroyablement silencieux, rien que les battements de leurs deux cœurs et le crissement de leurs chaussures sur la caillasse, les écorces, les pommes de pin qui craquent sous leurs pieds, aucun cri d’enfant, pas une voix de voisin qui appelle, pas de cloches de l’école, plus rien qu’eux deux silencieux, le vent dans les arbres, un cours d’eau, le doux bruit de l’eau et le chant des oiseaux. » Hélas, l’épuisement gagne Louise, et la découverte idyllique se transforme rapidement en cauchemar, face à une montagne féroce et glaciale. « Le glacier, ici, est un monstre endormi, le diable en personne au point qu’il se nomme le glacier des Diablerets. »
On devait déjà à Alexandre Duyck, entre autres, une biographie de Chantal Mauduit, alpiniste française disparue en 1988 lors d’une expédition dans l’Himalaya (Elle marchait dans les nuages, Paulsen). Ici, pour questionner le pouvoir de fascination et de mort des sommets, il s’inscrit dans les territoires d’un Maurice Chappaz (que lit d’ailleurs Louise) ou d’un Jacques Chessex. Dans une langue à la fois lyrique et sobre, il dresse un tombeau de mots à deux rêveurs humbles et fous en quête d’absolu. Il interroge non seulement la catastrophe mais la façon dont elle se réverbère sur le destin d’autrui.
Avec toi je ne crains rien, Alexandre Duyck, Actes Sud, 208 p., 19,90 €