Réconciliant la rigueur et le rêve, l’art et la vie, le deuxième roman de Florian Préclaire est un des livres saillants de ce printemps.
Roman aristocratique, dans ses tonalités affectives et morales comme sa langue, mais sans la poussière du pastiche ni la hauteur de la morgue.
Allée des Immortelles taille ainsi le portrait de son héroïne dans une syntaxe dense et pourtant limpide, des tournures moins surannées qu’indifférentes au temps, avec un penchant pour la rigueur de la dénomination abstraite. En ressortent la vie, les amours, les œuvres de la descendante d’une grande famille industrielle et titrée : peintre, libre, et exploratrice de sa propre mélancolie.
Roman historique, chevauchant la fin du XIXe siècle et les tourmentes du XXe, mais dépourvu des tares des pensums wikipédiés qui font l’ordinaire du genre.
Allée des Immortelles obéit ainsi à une double scansion : celle, extérieure, brisante, inexorable du temps de l’Histoire et ses guerres, coups de gong secouant le récit sans pourtant le déchirer ; celle, intime, qui régit les phases de l’histoire d’une âme, et dont les propriétés singulières se laisseraient assez bien résumer par une formule paradoxale, celle de « nervosité rêveuse ».
Roman familial (on y retrouve, abordé par un autre chemin dans la forêt de la mémoire, le René-Frantz Préclaire du Cavalier de Saumur, premier roman de l’auteur), mais irréductible au tout-venant du roman lorsqu’il s’aventure dans la généalogie.
Louons ici l’imagination qu’on pourrait qualifier de géométrique de Florian Préclaire, faculté à laquelle le livre doit une de ses grandes qualités : sa capacité à discerner, à retenir et à accentuer les jeux d’opposition et de symétrie qui unissent tel parent à tel autre. Moyennant quoi, il acquiert quelque chose de cette tension dépouillée et allégorique propre aux contes ou aux blasons nobiliaires.
« Aristocratique », « historique », « familial » – et il faudrait ajouter à cette énumération « esthétique », tant Florian Préclaire manifeste les beaux dons de ceux qu’en d’autres temps on eût appelés des « écrivains d’art » lorsqu’il décrit, avec toutes les ressources d’une précision suggestive, les tableaux de son héroïne.
Voilà bien des adjectifs, mais ils ne sont que les facettes prises sous des angles divers d’un même esprit, que j’appellerais volontiers l’esprit de cérémonie. Valéry notait quelque part les traits distinctifs de la fête, soulignant ce qu’elle avait de « solennel », de « réglé », de « significatif », aux fins de faire apparaître « l’image de ce qu’on n’est pas d’ordinaire ». Il en va ainsi de toute cérémonie et du roman de Florian Préclaire.
Solennité : cette gravité propre aux actes rituels qui baigne le récit. Ordre réglé : cette façon de retracer tel trajet avec ses étapes ou de ne pas éluder les nécessités techniques de la peinture. Portée significative : tout ici est enveloppé du nimbe du symbole. Et puis l’œuvre d’art, le monde des morts, les crises de somnambulisme de la protagoniste : autant d’occasions pour l’homme d’être plus que ce qu’il est habituellement. Allée des Immortelles, c’est le roman devenu cérémonie, et célébrant des mystères très humains.
Florian Préclaire, Allée des Immortelles, Actes Sud, 128 p., 19€