Accompagnant le film le plus attendu de l’année, sept heures du Napoléon, vu par Abel Gance, le livre éponyme, est une mine d’or.
Non, il n’est jamais trop tard, voudrait-on répondre à Monsieur Gance ! Son incroyable film tant de fois remonté et retourné par ses soins, charcuté par les producteurs et les exploitants, revoit enfin le jour dans une version de sept heures. Il aura fallu plus de dix ans à la Cinémathèque française pour reconstruire une copie du Napoléon, vu par Abel Gance, la plus proche possible de celle présentée en mai 1927 au théâtre Apollo de Genève. Dix ans sans compter tout le travail accompli depuis la première tentative de restauration présentée à Venise en 1953 par Henri Langlois, jusqu’au montage de Bambi Ballard entrepris dans le cadre du Bicentenaire de la Révolution française, en passant par les trois décennies de recherches colossales faites par Kevin Brownlow.
Une folle histoire racontée dans ce livre
La folle histoire de ce film est racontée dans les premiers textes présents dans ce beau livre.
Le président de la Cinémathèque Costa Gavras ouvre le bal en rappelant l’attachement historique de son institution au cinéaste. En rappelant que Gance était parmi les réalisateurs les plus importants des avant-gardes, c’était en tout cas ce que pensaient Truffaut, Godard, Rohmer et compagnie. Frédéric Bonnaud, Joël Daire, Georges Mourier (l’homme qui a dirigé le travail de reconstruction du film) ou Dimitri Vezyroglou remettent admirablement bien en contexte ce projet pharaonique et l’importance historique du travail accompli : c’est l’article le plus riche, même pour un spécialiste de Gance, qui raconte les aléas de la production de l’époque et comment le film, en à peine un an, fut charcuté en terre européenne et achevé sur le territoire américain.
Esthétiquement, un livre parfait
Le livre est d’une beauté remarquable. Chaque page propose un tirage photographique d’une grande qualité. Des photos, sans texte, de plateau, d’instantanés du tournage, certains connus, d’autres moins, qui restituent parfaitement l’épopée. Ensuite, le lecteur assiste à un défilé de photogrammes 35mm mêlés aux textes. Proposés dans leur ordre chronologique, ils constituent un condensé des sept heures, sorte de flip book panoptique.
L’ouvrage quitte l’Histoire pour s’atteler, ensuite, aux questions d’esthétique. Thierry Lentz aborde les questions de récit et de savoir comment Gance abordait la fiction comme un lieu de mensonge. La question musicale est très bien traitée par l’auteur de la partition actuelle : Simon Cloquet-Laffolye. Enfin, les articles de Philippe Forest et d’Elodie Tamayo permettent de relier le Napoléon au reste de sa filmographie comme les deux versions de J’accuse (1919 et 1938) ou encore La Fin du monde (1931).
Il est plus que temps de découvrir, dans cette version inédite, une œuvre monumentale que le livre magnifie remarquablement.
Techniquement, un chef-d’œuvre
Terminons sur quelques propos techniques, pour éclairer le lecteur qui découvrirait ce grand film pour la première fois, pour tout à fait comprendre l’évènement que représente ce film.
Le gigantisme du cinéma de Gance emprunte au montage d’Eisenstein et de D. W. Griffith, à la mobilité de la caméra de Murnau et à l’éclairage et la photogénie expérimentés par Cecile B. DeMille. Voltige de caméra, montage alterné, surimpressions expérimentales et une scène finale, la bataille d’Italie que Gance voulut filmer en grand panoramique. L’ingénieur Debrie l’aida à installer trois caméras côte à côte permettant de tripler la largeur du cadre. La solution n’était pas satisfaisante. La jonction des trois images se fit au premier plan de façon un peu brutale et d’une difficulté naissait une trouvaille : la Polyvision. Le triptyque, répliqué en projection, n’était plus uniquement un immense panoramique mais désormais une composition de trois images, passé, présent et avenir, une architecture mouvante et merveilleuse.
En attendant de voir le film, le livre est un feu prométhéen à mettre entre toutes les mains. Un chef-d’œuvre avant le chef-d’œuvre.
Napoléon, vu par Abel Gance, ouvrage collectif, La Table ronde et La Cinémathèque française, 2024, 312p., 29€
Projections du 6 au 21 juillet à la Cinémathèque
Ciné concert évènement à la Seine Musicale les 4 et 5 juillet