La Suisse Carmen Jaquier signe un premier film, Foudre, sensuel et très maîtrisé. Prometteur.
« Nous, les femmes de la terre, avons le droit de regarder le ciel et de jouir » ainsi parle Innocente avant de choisir le torrent. Sa jeune sœur, Elisabeth (Lilith Grasmug), est retirée du couvent pour aider la famille aux travaux des champs. L’aînée a emporté son mystère avec elle, sorcière ou concubine du diable, elle ne doit plus être nommée ni évoquée. Elisabeth travaille dans les alpages, se plie aux rudes labeurs domestiques, mais elle veut comprendre la disparition de sa sœur tant aimée. Trois garçons en pleine puberté et un journal cousu dans un linge lui permettront de faire la lumière sur la destinée d’Innocente tout en lui révélant ses propres désirs.
Un premier film d’une jeune cinéaste suisse à la puissance sensuelle indéniable. Carmen Jaquier s’attache à filmer la nature et la chair tels des instruments aptes à accéder à une transcendance — que celle-ci s’appelle Dieu ou n’importe quoi d’autre. Et si Dieu était l’autre nom du désir ? Le décor et les corps s’emboîtent, s’offrent une danse charnelle, aiguisent les sens. Les échelles de plans et les cadres saisissent un œil ici, des feuilles soulevées par le vent là, un torrent, des fourmis, des flammes, des masques déformés ou des épidermes frottés, palpés, caressés. Foudre raconte l’histoire de jeunes filles littéralement en feu et de jeunes gens consumés par leurs désirs. « Dieu est une vibration, Dieu est l’endroit de mon désir, je dois quitter les mensonges qu’on a mis sur mon corps. » La voix d’Innocente, retrouvée dans des carnets noircis, épouse des images à la photographie éblouissante. Carmen Jaquier explique avoir œuvré de concert avec sa chef opératrice, Marine Atlan, afin d’échapper à la froideur du numérique en allant chercher la matière sensorielle avec de la vaseline et des bas posés sur l’objectif. L’image vibre et palpite pour raconter l’épreuve de la chair, la découverte du plaisir et des corps jouissants en pleine nature loin de la morale des hommes. Des corps foudroyés par le plaisir avant de se retrouver foudroyés par l’interdit et condamnés par ceux qui refusent cette immanence. La femme comme la nature font peur. Devenir femme, avoir ses règles, éprouver des envies, autant de sujets hautement condamnables pour une Église qui juge les femmes responsables d’avoir « le diable au corps ». On est en 1900 et le corps des adolescents s’offre comme une nouvelle forme de la prière, là où le catholicisme s’échine à punir, contenir les appétits à coups de cilice et châtiments corporels. Ici, la scène des peaux recouvertes d’urticaire sous la caresse des orties frottées à même les sexes est empreinte d’une forte sensualité. La grande réussite de ce Foudre tient dans sa mise en scène épurée, ses partis pris marqués, sa photographie, ses cadres et son montage où la nature devient un temple qui vibre à l’unisson des corps libérés et des chœurs chantants. Un premier film d’une beauté incandescente.
Foudre de Carmen Jaquier (2022, Suisse-France) avec Lilith Grasmug, Noah Watzlawick, Benjamin Python. La Vingt-cinquième heure, Sortie le 22 mai 2024.