Le festival de printemps de l’Ircam et du Centre Pompidou a démarré sur un concert aux dimensions monumentales
C’est avec une œuvre du compositeur danois Simon Steen-Andersen que ManiFeste a lancé son édition 2024. Et pour cause, celui qui, de son propre aveu, se voit comme un outsider dans le monde de la musique savante, l’ex-adolescent qui, dans sa chambre, composait à partir de samples musicaux, jouait du rock, bidouillait des vidéos sur son ordinateur, est passé maître dans l’art du palimpseste musical et visuel. À l’heure où la musique contemporaine éveille souvent les réticences, Trio, créé au festival de Donaueschingen en 2019, dont c’était hier soir la première française, est une œuvre d’une cinquantaine de minutes qui ne peut que séduire par sa joyeuse profondeur, une œuvre symphonique monumentale, comme on le dirait d’une sculpture. C’est en effet une masse sonore réflexive qui interroge le temps, l’évolution de l’interprétation musicale, l’espace, la place du chef d’orchestre hier et aujourd’hui. Ils étaient d’ailleurs trois simultanément, hier soir, sur la scène du Châtelet presque aussi densément peuplée que la salle. Comme son titre le suggère sans réellement le révéler, Trio est une composition pour trois ensembles : un orchestre symphonique (l’Orchestre de Paris), un big band (celui du CNSM) et un chœur (Les Métaboles). C’est aussi le résultat d’un long travail d’archiviste, travail qui passionne et même caractérise le compositeur (on aura pu le constater avec son récent Don Giovanni aux Enfers, donné à l’Opéra du Rhin). 4500 images brèves issues de la Südwestrundfunk allemande se succèdent, principalement des extraits de concerts classiques et jazz des années 50, 60 et 70, et des visages de chefs aussi mythiques que Carlos Kleiber et Sergiu Celibidache. Steen-Andersen est donc aussi un tisserand, coupant, cousant, rapiéçant et maniant à merveille et avec sens du comique l’art du jump-cut. Pourtant, Trio est tout sauf une simple juxtaposition de matériaux sonores et visuels. C’est une création dans laquelle ces deux dimensions deviennent indissociables. Seul moment où la musique se déploie de manière ininterrompue, celui où les trois ensembles se substituent à l’inaudible enregistrement de 1888 d’Isräel en Égypte de Haendel, et où le chœur chante à travers des feuilles de papier d’aluminium, reproduisant l’effet de grésillement d’un gramophone. Réflexion sur l’histoire de l’interprétation musicale, Trio est donc, pour paraphraser John Adams, un short ride in a time machine, une haletante remontée du temps grâce aux moyens contemporains de la vidéo ou de l’électro. On regrette uniquement que ce voyage s’alanguisse un peu trop sur la fin, une fois passé l’effet de surprise.
La soirée a été entamée par une Valse de Ravel surlignée par la chorégraphie de Thomas Hauert, elle-même filmée sous forme de triptyque par le compositeur et réalisateur Thierry de Mey sur un toit de Bruxelles et dans un espace à l’architecture hyper structurée. Particularité : le montage s’adapte en temps réel au tempo imprimé par le chef américain Brad Lubman, lui aussi compositeur, ce qui a fait de cette Valse une réelle mise en condition auditive et physique. Ce ciné-concert, en spectacle total, laisse présager avec bonheur de la suite du festival de printemps…
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