Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu autant de créations annoncées au Châtelet : Peer Gynt, Orlando, et bien sûr Les Misérables, évènement du mois de novembre, recréation de la comédie musicale culte, inventée à Paris il y a plus de quarante ans. Olivier Py, nouveau directeur, nous donne sa vision de la maison Châtelet, théâtre musical parisien par excellence.
Vous soulignez dans votre présentation de saison la volonté d’un Châtelet ouvert à tous, qu’entendez-vous par là ?
Le Châtelet c’est à la fois l’avant-garde et le théâtre en famille. C’est à la fois les Ballets russes, et le Tour du Monde en quatre-vingts jours qui a joué plus de mille fois. C’est un lieu qui décloisonne tous les genres, qui fait qu’on oublie les jugements de classe, et qu’on ouvre à 360 degrés. Ça me va, surtout après l’expérience d’Avignon. Le festival d’Avignon a vu la naissance de la démocratisation culturelle. Le Châtelet s’inscrit là-dedans, mais avec cet axe central qu’est la musique. C’est le fil conducteur de toutes ces formes, de tous ces artistes qui, de l’opéra au rap, ont en commun de mêler les arts.
Qu’est-ce que « l’opéra pour tous » ?
On le fera une fois par an. C’est une autre voie de démocratisation, le prix du billet ne dépassera pas cinquante euros, ce qui est complètement fou. Avec de jeunes artistes et des décors écoresponsables. On formule le pari qu’on va réussir à avoir un autre public pour l’opéra. Parce que pour moi l’opéra, c’est le genre populaire par excellence. Tout le monde adore ça. Sauf que le prix du billet est souvent prohibitif.
Dans votre carrière de metteur en scène, vous avez souvent voulu vous adresser au plus grand nombre, non ?
J’ai fait cinquante productions d’opéras. Ma dernière production, Orphée aux enfers, était en effet destinée à tous. Mais je crois à l’opéra contemporain, j’en ai fait, et j’aimerais qu’il trouve aussi sa place ici. Mais je crois que si on veut créer un public lyrique pour demain, il faudra d’abord le faire par les grandes œuvres, mais bien pensées, bien déconstruites.
Votre grande ouverture, c’est Les Misérables…Une œuvre qui vous tient à cœur depuis longtemps ?
J’adore Les Misérables, je pense que c’est une grande œuvre. Elle est jouée dans le monde entier, et en France, elle n’est pas revenue depuis trente ans. C’est un vrai paradoxe. Cette œuvre qui représente la France, et par son livret, et par son œuvre de référence, et par ses auteurs a été étrangement boudée dans notre pays. Alors qu’elle a tout de même été créée en France et en français, mais ensuite elle a franchi la Manche, puis l’Atlantique, et c’est là qu’elle a connu cette incroyable renommée internationale. Le pari c’est qu’elle revienne en France, et en français, un peu réécrite, parce que les auteurs, Alain Boublil et Claude-Michel Schoenberg ont saisi l’occasion pour revenir sur leur première version. C’est amusant, parce qu’ils l’avaient écrit en pensant au Châtelet, mais le directeur de l’époque n’en avait pas voulu. Je voulais aussi une nouvelle mise en scène. Après trente ans, un spectacle peut commencer à avoir quelques rhumatismes…Mais il fallait obtenir les droits, et ce fut assez complexe, je crois qu’on les a eues parce que c’est le Châtelet.
Comment définiriez-vous la nouvelle mise en scène de Ladislas Chollet ?
Élégante. C’est conçu comme un grand spectacle, mais qui évite le kitsch.
À qui s’adresse Les Misérables tel que vous l’imaginez ?
Absolument tout le monde. Je ne connais pas d’ouverture plus large. Venez avec les enfants, les grands-parents, peut-être parce que c’est si constitutif de notre histoire. Et n’oublions pas que le génial roman de Victor Hugo est un plaidoyer pour la justice sociale. C’est ça qui est saillant et qui va résonner avec l’époque. Aujourd’hui particulièrement, parce que la gauche est affaiblie.
Vous créerez un Peer Gynt en mars 2025 qui sera à la fois fondé sur la pièce et sur l’opéra de Grieg, pouvez-vous en dire plus ?
J’ai traduit le Peer Gynt de l’anglais et de l’allemand pour la partition de Grieg. Je suis aussi parti de la lettre de Ibsen à Grieg qui dit ce qu’il faut faire pour adapter ce grand roman qui est Peer Gynt. C’est là que j’ai un peu adapté, mais pas tant que ça, cette version pour la scène. C’est un texte nouveau, et je pense qu’on l’entendra différemment. Le texte est plus agressif, plus trivial, en français on a tendance à tout envelopper dans du papier doré, or c’est aussi cru que quelquefois hautement poétique, c’est presque du Mallarmé. J’espère être proche de cela. L’opéra de Grieg et la pièce d’Ibsen sont deux chefs-d’œuvre, qui ont parfois du mal à se rencontrer, et là on aura la totalité de chacun. Ce sera comme un opéra, majoritairement parlé.
Vous programmez deux œuvres de Bizet en une soirée, dont une parfaitement méconnue, Docteur Miracle…
Oui, c’est Offenbach qui avait organisé un concours à partir de ce livret, « Docteur Miracle », et deux compositeurs l’ont remporté, Bizet et Lecoq, il existe donc deux Docteur Miracle, et je suis ravi que l’on puisse programmer cette opérette autour d’un docteur charlatan, à laquelle on adjoint un autre chef-d’œuvre qui est L’Arlésienne pour l’anniversaire de Bizet.
Vous avez cette année un orchestre partenaire, L’Orchestre de chambre de Paris, que l’on retrouve notamment dans votre nouveau festival Les Folies musicales, de quoi s’agit-il ?
Je suis parti de la constatation que le Châtelet n’était plus un lieu où on allait si facilement écouter de la musique classique, et je le déplore parce que quand j’étais étudiant j’allais beaucoup écouter de musique classique ici. Donc il faut créer le public de demain, en proposant des genres un peu différents, en faisant du répertoire qui mélange les styles, c’est ce que l’on essaiera de faire dans ce petit festival : inventer une autre manière d’écouter de la musique classique. Pour un public notamment jeune.
Quels sont vos meilleurs souvenirs du Châtelet ?
J’allais tout écouter au Châtelet : les Maîtres chanteurs de Claude Régy, Barbara, les concerts de Jeanine Roze. L’éclectisme est la marque même de cette maison, on va essayer de le célébrer.