Pour sa première création en tant que directrice du Théâtre national de Strasbourg, l’autrice et metteure en scène Caroline Guiela Nguyen s’approprie, à sa manière hyperréaliste, l’histoire d’une robe de mariée mythique, Lady Di. 

Comment vous est venue l’idée d’écrire un spectacle autour de la création d’une robe de mariée ?

Dans la plupart de mes spectacles, il est question de secret. Que ce soit dans Elle brûle en 2013 ou dans Saïgon en 2017, par exemple, c’est un motif qui irrigue mon travail. Pour ce nouveau projet, j’avais envie de m’y attacher encore plus spécifiquement et de travailler cette notion de manière plus frontale. Au tout début de mes réflexions, je suis tombée sur un article qui racontait les dessous de création de la robe de mariée de Lady Di. Si je ne suis pas particulièrement curieuse de la royauté ou de la haute couture, ce qui m’a frappée, ce sont les clauses très strictes de confidentialité et les mystères qui ont entouré sa confection. J’ai ainsi découvert que les créateurs avaient imaginé non pas une seule tenue mais deux, au cas où les croquis de la première fuiteraient dans la presse. Ils ont poussé le secret à un tel point que la femme chargée de broder le voile rentrait tous les soirs en métro avec son précieux ouvrage dans son sac à main pour travailler de chez elle en toute discrétion et que l’on demandait aux ouvriers et ouvrières de mélanger les chutes de tissus à d’autres pour éviter que des journalistes trop curieux découvrent la couleur et les matières utilisées. Toutes ces petites choses, anecdotiques, mais tellement révélatrices, m’ont semblé certes totalement délirantes, mais surtout un point de départ passionnant à creuser. Et finalement ce qui m’a le plus étonné et qui a guidé mon geste, c’est que cette histoire de robe de mariée d’une princesse d’Angleterre est hyper « mainstream » et permet autour de ce fil conducteur de raconter des récits de vie très différents. 

 C’est-à-dire ?

Au plateau, la robe sera omniprésente, mais ce qui m’intéressait de tisser, ce sont les histoires de ces femmes et de ces hommes chargés de la créer, que ce soit les designers, la cheffe d’ateliers, les petites mains, les dentellières et les brodeurs qui chacun à leur échelle vont permettre que cette tenue légendaire puisse exister dans les temps. Dans cette optique de mettre en avant une diversité de personnages de l’ombre, il était important que sur scène on puisse la ressentir. C’est pourquoi j’ai fait appel à des comédiens et des comédiennes de tous horizons. Certains sont professionnels d’autres amateurs, notamment parce que j’avais besoin par souci d’authenticité d’artistes parlant le tamoul ou sachant broder par exemple. Ce qui est troublant c’est que Raji qui est née en Inde, Anaele, une jeune fille de 18 ans, Nanii qui vient du rap ou Liliane, qui vient d’avoir 85 ans et n’était jamais montée sur les planches d’un théâtre, quelle que soit leur raison, leur parcours, aient un intérêt ou un lien avec la couture. C’est assez fou quand on y pense. Et cela va dans le sens du geste que je veux impulser avec ce spectacle. Le sujet, que je trouve passionnant pour ce qu’il représente, mais aussi pour l’artisanat insoupçonné qu’il renferme, crée du commun et a un côté très populaire. 

Comment justement rendre visible au plateau cet artisanat ? 

D’abord grâce à une recherche menée pendant un peu plus de huit mois avec mon créateur costumes, Benjamin Moreau. Ensemble, nous sommes allés en Inde à la rencontre des brodeurs de perles, à Alençon pour découvrir l’art de la dentelle. Ce qui a été très moteur, c’est d’observer la dextérité de ces « petites mains », leur savoir-faire, la beauté de leurs gestes – de l’ordre du ballet – leur capacité à créer des pièces uniques, des chefs-d’œuvre. Cela a permis de dessiner une géographie du spectacle, une partie de l’intrigue se passe à Paris dans un atelier de haute couture, une autre à Mumbaï, devenu le lieu où toutes les grandes maisons de luxe viennent réaliser leur broderie – et la dernière à Alençon. Grâce à un système de vidéos et d’écran, il sera possible de suivre en temps réel les histoires intimes qui animent tous les personnages, les secrets qui les habitent et qui tissent un récit de façon métaphorique à l’intérieur de cette robe. L’autre élément important, c’est que les comédiennes et comédiens ont passé beaucoup de temps avec Benjamin aux ateliers costumes du TNS pour apprendre les gestes. Il est essentiel pour moi qu’on éprouve un sentiment de réalité. Je dois croire à ce qui se passe au plateau, du geste de couture à la manière dont on présente et déplie les tissus pour montrer leur préciosité. C’est ce qui donne du sens à ce que nous sommes en train de créer, cela ajoute une dimension théâtrale très forte, où sont évoquées au-delà de l’artisanat, des questions profondes comme les violences faites aux femmes, la place des minorités religieuses, ou encore la difficulté d’acquérir la nationalité indienne quand on est musulman.

LACRIMA de Caroline Guiela Nguyen. Festival d’Avignon, du 1er au 11 juillet.