Écrivaine au tempérament libertaire, Kanoko Okamoto a laissé « une trace mémorable dans le monde littéraire de l’ère Taisho (1912-1926) et du début de la suivante, l’ère Showa (1926-1989) », nous apprend Lucien d’Azay. Remercions ce dernier de nous donner aujourd’hui accès à son œuvre par l’entremise d’une courte et intrigante novella datant de 1937, Un amour de poisson rouge.

La version qu’il propose aux éditions Bartillat est un savant mélange de deux traductions du japonais, l’une de l’italien et l’autre de l’anglais. D’azay ayant entrepris de trouver un juste milieu par rapport à la rigueur extrême de la première et la vive liberté de la seconde. Le résultat permet d’accompagner les pensées et les actes d’un héros pour le moins étonnant. Après le décès des siens, Fukuichi a été accueilli par des parents d’adoptions. Le jeune homme a grandi à Tokyo, dans une famille s’occupant de longue date des bassins d’un vivier à poissons rouges. Ces poissons d’ornements, également appelés animaux de compagnies, si prisés au Japon que leur élevage est une activité productive privilégiée. Fukuichi s’est  formé à son tour à la pisciculture. Pour cela, il s’en est allé étudier dans une école technique supérieure de grande renommée sur les rives d’un grand lac de la région du Kansai où il a travaillé à une thèse. Sans jamais oublier Masako. La jeune fille discrète qu’il prenait un malin plaisir à taquiner, à harceler et à tourmenter quand ils étaient tous deux enfants. Celle qui évoluait dans l’aisance au sein d’une riche famille habitant dans une villa au sommet de la falaise surplombant le vallon. Celle qui avait un jour décidé de ne plus se laisser faire et avait inondé le visage de Fukuichi d’une pluie de pétales de cerisier. En le surprenant au point qu’il en avait gardé quelques lambeaux dans la gorge et avait renoncé à s’en prendre à elle. Celle, enfin, qui l’avait vivement incité à poursuivre sur la voie de la pisciculture. A son retour dans la capitale où il a repris le flambeau du vivier où il était naguère simple commis, Fukuichi la découvre changée. Six ans plus tard, Masako est devenue une évidente beauté éthérée d’une transparence presque cristalline. Elle s’est mariée, a eu une fille.  Le héros de Kanoko Okamoto reste comme envoûté par Masako dont l’emprise ne s’est jamais démentie. Elevée au rang de déesse, elle est désormais l’objet de son amour le plus total. Au point qu’a germé en lui l’idée de la célébrer en créant un poisson rouge d’une beauté inouïe. Une nouvelle progéniture hybride, un spécimen suprême… Un amour de poisson rouge ausculte l’obsession d’un misanthrope monomaniaque que la vivacité de ses sentiments pousse vers une quête impossible. Le mélange de chaud et de froid qui se dégage de ces pages reste durablement en mémoire.

Kanoko Okamoto, Un amour de poisson rouge, traduction, notes et postface de Lucien d’Azay, éditions Bartillat, 120 pages, 20 euros.