C’était un Armide au charme très Grand siècle qui a été créé hier à l’Opéra Comique.

Difficile de parler de la soirée du lundi 17 juin, à l’Opéra-Comique, sans évoquer Jodie Devos. Emportée la veille par un cancer foudroyant, à juste trente-cinq ans, la brillante soprano belge était chez elle à Favart. Dans un discours bref, sobre et émouvant, Louis Langrée a rappelé combien la chanteuse était une enfant de la maison, jusqu’à ce récent Fantasio, en décembre dernier. Puis il lui a dédié cette première de l’Armide de Lully…
Armide, on était curieux de le (re)découvrir, ne serait-ce qu’en miroir à l’œuvre montée en novembre 2022, sur cette même scène : celui de Gluck. À l’époque, dans ces mêmes colonnes, nous avions dit qu’il serait amusant de jouer au « jeu des sept erreurs » entre ces deux opéras canoniques du répertoire français. Dont acte : jouons !
On sait que Gluck avait relevé le défi d’adopter mot pour mot le livret que Philippe Quinault avait écrit pour Lully, quatre-vingt-onze ans plus tôt, en 1686 ; et l’on retrouve aujourd’hui ses mots associés à la musique pour laquelle ils avaient été pensés. L’exercice à cela d’intéressant que l’Opéra Comique parie sur la gémellité des deux opéras en employant les mêmes décors, la même metteuse en scène, Lilo Baur, une bonne partie de la distribution et le même chef d’orchestre : Christophe Rousset.
Soyons honnête, le livret de Quinault est bien plus en phase avec cette déclamation qui a toujours été la patte du père d’Atys. Le reste est une question de goût : aux éclats de Gluck, très « siècle des lumière », s’opposent la morgue hautaine du grand-siècle lullyste ; souvent langueur y rime avec lenteur et on peut rester imperméable aux tunnels des récitatifs. Mais, répétons-le, il s’agit là d’une histoire de sensibilité.
Ce qui est certain, c’est que Christophe Rousset persiste et signe dans son respect scrupuleux des œuvres, lequel ne va pas sans une certaine raideur. Son Gluck nous avait semblé trop sage, son Lully manque également de hargne, de fureur. On voudrait des contrastes, de la rage, là où tout est magnifiquement lié mais finalement trop homogène.
Même critique à l’endroit du travail de Lilo Baur, qui est plaisant à l’œil, joliment balancé, mais n’évite pas l’écueil d’une certaine monotonie visuelle. Tout cela pèche par excès de sagesse, de courtoisie, et sans doute de déférence. À l’heure où l’on défigure trop souvent les œuvres, on aurait rêvé ici plus d’insolence et de griffures.
La distribution réunie sur la scène de l’opéra-comique était en revanche idiomatique, toute pleine d’amour pour cette partition. Jusqu’aux plus petits rôles, telle la très jolie voix de ténor d’Abel Zamora, dans le rôle de l’amant fortuné, chacun était ici à sa place. Comme chez Gluck, le duo Florie Valiquette et Apolline Rai-Westphal incarnait avec charme et musicalité la Gloire et la Sagesse. Saluons légalement les superbes Lysandre Châlon (Aronte), Enguerrand de Hys (Artémidore) et, surtout, la Haine impressionnante d’Anas Séguin. Enfin, Cyrille Dubois confère sa diction exemplaire et son timbre de miel (presque trop « opéra comique », peut-être ?), au personnage de Renaud.
Reste Armide… Chez Gluck, Véronique Gens avait abordé le rôle un poil trop tard ; on se demande si Ambroisine Bré n’a pas les épaules trop jeunes pour un tel personnage. La mezzo française possède un abattage indéniable, une superbe présence sur scène, mais il semble qu’elle se débat parfois avec son rôle, surjouant là où tout n’est qu’allusion, non-dit. Sa voix elle-même semble çà et là perdue devant la complexité de l’écriture vocale, ce qu’elle pallie par un excès d’expressivité. Mais il est indéniable que son engagement est complet, et le public le lui a bien rendu, qui lui a fait une fête aux saluts. Quant au match Lully-Gluck ? Disons qu’Atys vaut mieux qu’Armide et qu’Armide vaut moins qu’Alceste. Comme disait Jean Paulhan : « mettons enfin que je n’ai rien dit »…

Armide de Lully, direction musicale Christophe Rousset, mise en scène Lilo Baur, Opéra Comique, jusqu’au 25 juin,