Durant l’invasion américaine de l’Irak en 2003, un ami des bêtes a sauvé les animaux du zoo de la capitale au péril de sa vie et inspiré les hommes de bonne volonté. Une parabole humaniste.

Une interrogation, voire une gêne diffuse, saisit en ouvrant le livre de Lawrence Anthony, L’arche de Babylone. Ce Sud-Africain y relate le sauvetage des animaux du zoo de Bagdad durant la guerre de 2003. Que vaut la vie des bêtes lorsque celle des hommes est quotidiennement fauchée par un conflit armé ? La réponse se trouve au fil des pages de ce captivant récit qui tient du roman-vrai d’aventure.

Anthony (décédé en 2012), a fondé dans son pays natal la célèbre réserve d’éléphants du Thula Thula. En 2003, l’invasion de l’Irak par les troupes américaines le tétanise. Lui se souvient du sort des animaux des zoos de Bosnie durant le conflit, comme ceux de Kaboul, méthodiquement exterminés par les talibans. Fort de son entregent et de ses relations diplomatiques, il parvient, via le Koweït, à pénétrer dans le pays en guerre, direction Bagdad. Là, avec deux employés du zoo de Koweït City, il découvre celui de la capitale irakienne, sur fond d’un décor apocalyptique, les immeubles en ruine, les carcasses de blindés fumants sur un sol luisant de dizaines de milliers de douilles. Des 650 animaux qui constituaient la plus précieuse collection d’animaux exotiques du Moyen-Orient, il ne reste qu’une trentaine de bêtes dans un état lamentable. Les fauves sont faméliques, un ours brun d’Irak se tient prostré au fond de sa cage défoncée. L’hygiène inexistante empuantit l’atmosphère. Singes, paons, perroquets errent terrorisés. Lawrence Anthony balaye sa première réaction spontanée d’achever les bêtes pour abréger leurs souffrances. Il va se retrousser les manches.

Débute alors une entreprise qui paraît surréaliste. Ce Noé improvisé va déployer des trésors d’ingéniosité, d’obstination et de courage. Des soldats américains le regardent comme un fou, Anthony parvient à les persuader de l’aider, jusqu’aux gradés. Mieux encore, il se rallie des Irakiens, d’anciens employés du zoo qui n’ont pas perçu de salaire depuis des semaines et auxquels ils versent quelques dollars. Le sauvetage débute : abreuver et nourrir les animaux avec les moyens du bord, leur prodiguer des soins d’urgence. Les hommes, eux, retrouvent un but et une dignité. Les militaires l’interpellent. Dans un des palais présidentiels de Saddam Hussein, alors en fuite, survivent les lions que le fils du dictateur, le psychopathe sanguinaire Oudaï, s’est attaché en gros chats de compagnie après leur avoir fait arracher les griffes. Ce sont aussi les treize pur-sang de Saddam, une « mine d’or génétique », leur lignée remontant aux Croisades et au légendaire Saladin, qui échappent ainsi à la mort. Les fedayins armés encore fidèles à Saddam, les pillards, les rafales d’armes automatiques, l’assourdissant ballet des hélicoptères de combat n’ont pas raison de la détermination de ces hommes de bonne volonté. « Nous humains, sur le plan moral et éthique, ne pouvons plus nous permettre d’infliger de telles destructions à notre planète », écrit le sauveteur qui risque alors sa vie. Nous voilà loin des écolos de salons parisiens aux palabres pétries de wokisme. Lawrence Anthony, lui, a agi. Dans un chaos de pestilence et de violence, en sauvant des animaux, il a fait naître une part d’humanité.

L’arche de Babylone, de Lawrence Anthony, Albin Michel, 356p, 14,90€