Parution pour la première fois du roman du mythique punk Alain Kan, L’enfant veuf. Une essentielle curiosité.
Comme étoile filante, on ne fait pas mieux qu’Alain Kan. En 1963, à dix-neuf ans, le charmant jeune premier faisait ses débuts sur la marque Pathé-Marconi avec un quarante-cinq tours. Des deux faces réunissant les très yéyé « Si l’amour » et « Tu reviendras ». Alain Kan passe à la télévision, a du succès. Dans la foulée, il chante du Gilbert Bécaud et du Claude Nougaro. Ecrit des textes pour Dani. Fréquente Christophe Bevilacqua, qui tombe amoureux de sa sœur Véronique. Arpente la scène de l’Alcazar un canotier sur la tête aux côtés de Marie France. Reprend en français des morceaux de David Bowie qui le fascine. Mais le charismatique Alain a l’art des mauvaises fréquentations. Volontiers provocateur et involontairement compliqué, tout ce qui est toxique l’attire. Son registre musical change au fil des années. En 1974, il clame qu’il veut être « à tout prix une star ou rien », qu’il a « besoin de lumière, de bruit et de fiction ». En affirmant vouloir « marcher dans la ville avec des talons hauts, si ça me fait plaisir habillé comme Jean Harlow ». Pas facile de passer à la radio avec des titres comme « Heureusement en France, on ne se drogue pas ». En 1977, avec Gazoline, où il est associé à Fred Chichin qui fondera plus tard les Rita Mitsouko, il durcit encore le ton en chantant l’abrasif « Killer Man ». Pas de futur pour l’aventure punk qui tourne court. Ses albums solos, dont l’ultime Parfums de nuit, ne se vendent pas. Fauché, camé, Alain Kan tente d’écrire pour les autres. Il se produit en province dans des petites salles avec des tenues impossibles, joue avec le feu, déprime. Le 14 avril 1990, un après-midi du week-end de Pâques, il descend dans le métro à la station Châtelet. À quarante-six ans, il disparaît à jamais. Ne donne plus aucun signe, ne laisse aucune piste. Dix ans plus tard, il sera déclaré mort par la police sans que son corps ait été retrouvé. Et aujourd’hui voici que sort enfin L’enfant veuf, le court roman qu’il avait écrit en 1980. Un an après la parution de NovöVision d’Yves Adrien dans la collection « Speed 17 » des Humanoïdes Associés. Trois ans avant celle des Chérubins électriques de Guillaume Serp chez Robert Laffont. Une curiosité dans l’introduction de laquelle Alain Kan convoque « M. Mallarmé » et Gonzague Saint-Bris, s’essaye à l’aphorisme, renoue avec son goût de la provocation et s’adonne à la rêverie. Puis laisse entendre la voix d’un junkie aux aspirations poétiques et aux étranges visions. Ce Jules qui traine dans Pigalle, se languit de Sally et croise un Jim. Un Jules capable de lancer : « Je voudrais déchirer les nuages, déchirer le masque luisant de l’ennui, arracher les murs de cet appartement trop plein de souvenirs charmants, casser les objets de porcelaine, détruire les miroirs moqueurs, briser tous mes disques, brûler toutes les photos, ouvrir le gaz et allumer une cigarette ». Avant de terminer son errance banlieue Est au petit matin. En montrant que l’étoile d’Alain Kan scintille encore et toujours.
Alain Kan, L’enfant veuf, Séguier, 208 p, 21€