Grande artiste américaine peu montrée en France, Nicole Eisenman a droit à sa première exposition à Paris chez Hauser & Wirth. Événement.

Il faut reconnaître au Frac Île-de-France le mérite d’avoir consacré la première exposition à Nicole Eisenman en France mais c’était en 2007 et depuis de l’eau a coulé sous les ponts. À l’époque, cette peintre figurative au tracé aussi expressif que Philip Guston et à la touche débridée et satirique n’était pourtant pas vraiment dans l’air du temps. Mais l’art de Eisenman est si puissant qu’il ne s’embarrasse pas du souci d’être mis dans une case – il n’a pas besoin de cela – que ce soit celle de l’émergence, du féminisme, du minoritaire ou du politique. Il est d’ailleurs peut-être tout cela en même temps, et c’est tant mieux, qu’à cela ne tienne, il est juste de l’art, a fortiori ici de la peinture, fascinante et indomptable. En 2022, je regrettais d’avoir manqué l’exposition Nicole Eisenman et les modernes. Têtes, baisers, batailles  organisée par la Fondation Vincent Van Gogh à Arles. Affiche alléchante qui visait à déceler chez l’artiste ses inspirations aussi bien « picassiennes » que « munchiennes » dérivant aussi vers des formes rappelant les peintres suisses Max Van Moos ou Alice Bailly ou même les expressionnistes allemands, en particulier dans ses grands formats prenant des allures de fresques historiques et politiques. Eisenman connaît ses classiques et les assimile à merveille. C’est ce qui m’avait frappé l’an dernier, dans une foisonnante exposition de ses dessins à la galerie Jordan Schnitzer à New York, ceux-ci étant d’une dextérité remarquable, et invitant, par bien des aspects, à repenser à l’humour de James Ensor qui serait devenu le complice de Crumb. Savant mélange. Ici, chez Hauser & Wirth, ce sont également des correspondances formelles qui sont mises en scène dans un dialogue entre médiums. Si ses « peintures géométriques » citent les peintres modernistes, elles font aussi écho aux extravagances de certaines de ses sculptures. Chez Eisenman, le corps est le grand sujet. Elle le déforme, le rend grossier, lui fait dire tout ce qu’il peut subir socialement. Mais celui-ci sait aussi s’émouvoir, s’attendrir et jouir. C’est ce qu’il fait avec emphase dans ses sculptures, art qu’elle pratique depuis une dizaine d’années et qui est le cœur de la présente exposition. Penseur de Rodin ou Ariane endormie, ses personnages robustes s’allongent dans l’herbe ou avancent ensemble, colosses maladroits, comme dans Procession, uneinstallation monumentale montrée à la Biennale de Whitney en 2019. On s’arrête aussi devant Perpetual Motion Machine, œuvre monumentale représentant un marcheur en bronze, fatigué mais résilient, déplaçant perpétuellement un bâton de peinture sur lequel tintent des cannettes. Allusion au travail sisyphéen de l’artiste qui lutte. Autoportrait du peintre à travers une sculpture ? Quelle plus belle mise en abyme ? Assurément, cette dernière est aussi présente dans une autre de ses œuvres qui rassemble sculpture en plâtre et en bronze afin d’introduire une réflexion sur la symbolique des matériaux qui peuvent alors, selon leur aspect, changer complètement la signification d’une œuvre. 

Nicole Eisenman, du 5 juin au 21 septembre, Galerie Hauser & Wirth