De l’œuvre explosive de l’afro-américain Leonardo Drew émanent à la galerie Lelong & Co. les angoisses turbulentes de nos sociétés autant que leur capacité à se régénérer.
« This is a monster », voici comment Leonardo Drew définit sa tentaculaire installation, présentée dans une chapelle du 18e siècle au Yorkshire Sculpture Park en 2023. Comment la définir ? C’est impressionnant, gigantesque, intense. Cela évoque à la fois la déflagration et la ruine en même temps qu’une sorte de calvaire qui aurait explosé, à moins que ce ne soit des rochers qui auraient poussé, s’érigeant, se hérissant, à coups de strates taillées comme des couteaux. Ici le tourbillon des éléments crée le chaos, comme si, soudainement, les matières s’étaient mises à danser pour rappeler, dans leur mouvement, la mémoire du lieu, éparpillée. Face à son œuvre, Drew semble lui-même surpris par l’énergie qu’elle dégage. Le lieu est en effet envahi par cette masse verticale qui possède la silhouette d’une tornade aimantant l’ensemble des éléments gravitant autour d’elle. Un monde tellurique en expansion ? Une comète inconnue devenue indomptable ? Maître de la sculpture abstraite, au même titre que Tadashi Kawamata ou Chiharu Shiota, Drew est ambitieux : il veut pousser l’espace, l’étirer, en créant des œuvres douées de propagation. Pour cette nouvelle exposition à la galerie Lelong & Co., c’est une explosion qui attend le visiteur. Bois, plastique, plâtre, peinture, voici les éléments agrégés. Et si le risque du décoratif n’est pas loin, Drew n’y tombe pas. Car il construit méticuleusement, maîtrisant le passage de la deuxième à la troisième dimension, digne héritier ici d’un Frank Stella qui « maximisa » ses dessins et ses peintures en les transposant en sculptures aériennes. Drew cependant est moins narratif et plus architecte que son aîné, se préoccupant plus de la matière et de sa capacité à donner de l’énergie que d’une pure dimension formaliste. L’artiste afro-américain a d’ailleurs débuté un temps en utilisant des os et des peaux d’animaux morts avant d’insérer dans ses œuvres du coton, de la ferraille, des cordes et du sable, autant de matières symboliques se référant à la souffrance sociale, au cycle de la vie ou à l’idée du temps qui passe. Toutefois, ses œuvres plus récentes semblent plus évocatrices d’un espace à imaginer, à rêver, à penser même. En effet, les divers matériaux qu’il utilise se côtoient et s’imbriquent à la manière de canevas, palettes, de nuanciers ou même de reliefs à tisser, non dénués de citations formelles aux motifs des tapis, en particulier dans ses sculptures murales. Mais l’artiste sait transcender cette inspiration pour en faire d’énigmatiques abstractions, à la fois minimales et foisonnantes, au point qu’on croirait voir une foule de gratte-ciel miniatures vus du ciel. Est-ce une allégorie de nos sociétés de consommation un peu folles qui ne cessent d’accumuler matières et espaces au point qu’elles n’arrivent plus à les gérer ? Le regard se perd à l’intérieur de ces micro-architectures qui ont la complexité de constructions mentales et frôlent l’apocalypse quand l’artiste se met à les agencer au format monumental. « Ubiquity » titre l’exposition. Drew est partout.
Leonardo Drew, Ubiquity, jusqu’au 13 juillet, Galerie Lelong & Co.,