Toutes en énergie et en mouvement, les œuvres de Tana Borissova exposées à la Loo & Lou Gallery exaltent la matière picturale avec une force vive, propice aux surgissements.
D’éclats en éclosions, de jaillissements en révélations, la peinture de Tana Borissova en appelle à la contemplation d’un monde mû par des énergies en fusion. Née en 1978 à Sofia, en Bulgarie, l’artiste installée en France dès l’âge de 19 ans pour se former aux Beaux-Arts de Paris, peint ce qui semblerait être une nature matricielle et incandescente, où l’acrylique, en mouvements amples et vigoureux, sature l’espace avec des empâtements rugueux. Ici, des traits épais mêlent autant qu’ils ne déchirent, contredisant l’inertie d’une matière picturale employée à mimer le règne végétal. Comme le précise l’artiste, « J’ai voulu peindre la présence de l’arbre – corps, entrailles, souffle – et que sa présence intense dissolve la figure représentée. J’ai voulu rendre présents ses rythmes et formes multiples, ses passages et creux intimes, singuliers, débordant, brisant les contours fixes. »
À l’origine de sa dernière série, figure ainsi un arbre abattu, inspirant une recherche dans laquelle couches de peinture et lumière sont en proie à d’étranges métamorphoses, où le bois et son écorce, devenus palimpseste, fossilisent le cœur du temps. Tout à la fois sismiques et fractales, ces toiles portent alors en elles le visage temporel de l’informe, soit l’incarnation vivante du mystère des origines. Reliefs et craquelures, au sein desquels domine la présence obsédante des gris, des bleus et des blancs laiteux, empruntent alors une voie minérale dont l’artiste saisit miraculeusement l’élan pétrifié. En explorant le jeu entre surface et profondeur, débordement et retenue, Tana Borissova sonde alors le surgissement incessant de formes naissantes et dans cette poussée mimétique, dans cette tentative de rendre tangibles les forces invisibles de la vie, son œuvre palpite sous l’effet des flux qui la traversent. Cette expression spontanée de formes à la fois denses et pulsionnelles, conjuguée à la gestualité immédiate à laquelle se confie l’artiste, invite le regard à s’embraser dans une étendue qui porte en elle les germes du sublime. Tana Borissova joue alors souverainement d’une mobilité frémissante et tactile, toute propice à l’exaltation de la matière picturale.
Car dans son œuvre, le tableau n’agit pas comme une fenêtre ouverte sur le monde, mais conduit bien plutôt aux espaces où gît la matière de la création. Ni totalement abstraite, ni parfaitement figurative, l’image semble surgir de la substance même de la peinture, à la fois opaque et transparente dans des tons dont la douceur contraste étrangement avec la force vive de l’œuvre. Et tel que le souligne notre cher confère Damien Aubel, les travaux de Tana Borissova laissent transparaître « l’infinie cartographie des paysages intérieurs qui, tel ces mondes qu’abritent les gouttes d’eau des rivières, dessinent la topographie (la géologie, la géographie, on ne sait trop comment dire) de l’être végétal que fouillent et refouillent les tableaux. »
Cœur du temps -Tana Borissova jusqu’au 27 juillet. – Loo & Lou Gallery