Avec Histoire d’un Cid créé au château de Grignan, Jean Bellorini offre une lecture très libre de la pièce de Corneille sous forme de variations ludiques interprétées par des acteurs à l’enthousiasme communicatif.
Le Cid, combien de divisions ? La réponse est connue : « Nous partîmes cinq cent ; mais par un prompt renfort / Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port (…) » Tandis que Rodrigue, interprété par François Deblock, raconte les exploits guerriers qui lui ont valu le titre de Cid, dans le public les alexandrins sont sur toutes les lèvres. Sa tirade achevée, les applaudissements fusent. En assistant fin juin à la création d’Histoire d’un Cid, mis en scène par Jean Bellorini au château de Grignan, on est frappé par l’engouement des spectateurs pour la langue de l’auteur.
À croire qu’ils partagent le goût de Madame de Sévigné, dont le château de Grignan fut longtemps la demeure, laquelle écrivait dans une lettre du 9 mars 1762 : « Je suis folle de Corneille, il faut que tout cède à son génie ». Le plus étonnant, c’est que dans ce spectacle Jean Bellorini ne monte pas directement la pièce, préférant l’aborder en quelque sorte de biais en insérant des extraits de l’œuvre dans un ensemble plus vaste où quatre personnages imaginent toutes sortes de péripéties plus ou moins liées à l’original. Certains objets, un cheval à bascule, un voilier miniature, un poste de radio des années 1950, soulignent son choix d’inscrire le drame dans une vision décalée en lien avec l’enfance. Il s’agit pour les acteurs de jouer – comme des enfants s’amuseraient à inventer des récits d’aventure – une romance passionnée empruntant à une esthétique inspirée autant du cinéma que de la comédie musicale ; le tout évidemment avec une pincée d’humour. « Je ne suis pas un héros, déclare Rodrigue. Je ne suis qu’un petit pois au milieu de l’océan. »
Outre François Deblock, les acteurs Cindy Almeida de Brito (Chimène), Karyll Elgrichi (Dona Urraque l’Infante de Castille) et Federico Vanni (Don Diègue, père de Rodrigue) évoluent donc sur plusieurs plans étant à la fois eux-mêmes, les personnages qu’ils imaginent et les protagonistes de la tragi-comédie de Corneille. Il est question au début de la représentation d’une goutte de pluie devenue un déluge qui se déverse sur un voilier appelé « Vague à l’âme ». À bord, il y a Rodrigue, Chimène, l’Infante et sa confidente Léonor. On célèbre les fiançailles de Rodrigue et Chimène. Un orchestre joue une valse. Des mouvements de la danse au mouvement des vagues il n’y a qu’un pas qui donne le rythme chaloupé de ce spectacle où la mer parfois déchaînée occupe une place importante. Le texte de Corneille s’insinue dans ce va-et-vient, rappelant le drame qui sépare les deux amoureux : Rodrigue contraint pour sauver l’honneur de Don Diègue d’occire en duel Don Gomès, le père de Chimène.
Les fluctuations émotives des héros trouvent sur scène une traduction concrète sous la forme d’une structure en plastique qui enfle peu à peu pour devenir un énorme matelas surmonté d’un château dont les quatre tours font penser à un baldaquin. Mais la passion entre les deux amants ne sera pas consommée dans ce lit royal. Aux mots de Chimène, « Je me dois par ta mort rendre digne de toi », le château se dégonfle. Rodrigue devra traverser d’autres épreuves à l’image des héros de romans de chevalerie répondant aux codes de l’amour courtois. De retour de son combat contre les Maures, en pleine mer il contacte la belle par radio émetteur : « Allô, ici Rodrigue (…) Chimène, si tu m’entends (…) ». La mer qui les sépare va bientôt les réunir. En attendant, ils se cherchent l’un l’autre dans une quête chavirée dont l’humour charmant n’est pas pour rien dans la réussite de ces très libres et amusantes variations sur le Cid.
Histoire d’un Cid, d’après Pierre Corneille, mise en scène Jean Bellorini, jusqu’au 24 août à Grignan, dans le cadre des Fêtes nocturnes de Grignan. Puis du 27 novembre au 20 décembre au Théâtre National Populaire, Villeurbanne.