Aurélien Bellanger signe un bon roman, Les derniers jours du parti socialiste, mais à bien des égards problématiques.

On n’attendait plus grand-chose d’Aurélien Bellanger. On n’ouvrait plus ses livres. Fatigué d’avance à avoir à affronter un gloubiboulga d’informations informes. Un étouffoir, presque un étranglement. Un 10 tonnes lancé sur l’autoroute.

Mais là surprise : le roman se lit parfaitement. Il y a une fluidité de la phrase, une efficace du récit. On prend enfin du plaisir à le lire.

De quoi s’agit-il, dans Les derniers jours du parti socialiste, (Seuil) ? Bellanger, tel Balzac, son maître, dépeint un monde ; un monde médiatico-politique. Il fait la satire d’individus proches ou à l’intérieur du Printemps Républicain, qui a pour combat la laïcité, une avant-garde à ses yeux du combat contre les Musulmans. Les protagonistes ? On chemine avec Grémond (Laurent Bouvet, fondateur du Printemps Republicain), Taillevent (Raphäel Enthoven), Frayère (Michel Onfray), Véronique Bourny (Caroline Fourest), le Chanoine (Emmanuel Macron), Revêche (Philippe Val), et Sauveterre, qui n’est autre que Bellanger lui-même.

Comme il a eu raison, de faire de ces lions à l’assaut de la capitale, des personnages, tant ce petit monde est romanesque.

Ceci étant dit, le roman pose un certain nombre de problèmes. Premier point : les personnages. Ils sont ici croqués pour étayer une thèse politique. Pas d’existence propre, ni sang, ni chair, ni mains, ni pied, ni larmes, ni sueur, ni joie, ni angoisse, rien de ce qui fait un homme un homme. Tout juste des êtres de papier, des blocs de granit, des marionnettes, des pantins aux mains démiurgiques du narrateur, qui se coulent dans sa démonstration. Son démon politique le gène dans son art de romancier. Or, qu’est-ce qui fait le génie de Balzac ? L’art du détail bien sûr : vous saurez tous sur ses personnages, habits, habitudes, tic, toc, gestes etc. Balzac soigne les détails là où Bellanger fait œuvre d’art abstraite : la vie lui échappe. La vie d’en bas. La vie de tous les jours. Notre vie, quoi ! Et les personnages perdent en crédibilité. Là où Balzac construit une Comédie humaine, Bellanger construit lui une Comédie inhumaine. Autre problème lié aux personnages : une rage folle préexiste au livre ; Bellanger éprouve une haine pour ses personnages. Ainsi la cruauté imputée à ses personnages, Val, Enthoven, Fourest, Onfray, Bouvet,  imputons-la plutôt et surtout à Bellanger. Les exemples sont légion :  lorsque Grémond (Laurent Bouvet), apprend qu’il y a eu « une tuerie à l’école juive de Toulouse, la première réaction de Grémond fut qu’elle tombait doublement mal ». N’est-il pas atroce de présumer que Grémond n’ait pas eu une seconde de tristesse face à l’assassinat d’un enfant ? Et que seul compte, pour lui, le cynique, un emploi du temps chamboulé. Non moins monstrueux, les pensées qu’il prête à ces personnages après l’attentat de Charlie Hebdo. Les uns et les autres y voient une aubaine : « ce n’était pas un cadeau empoisonné, mais au contraire la garantie que le journal n’était pas prêt de mourir et que la droite obsédée par le choc des civilisations le soutiendrait quoiqu’il en coûte. » Pire, Bellanger verse dans le poujadisme et pointe le désormais « haut niveau de vie » des journalistes de Charlie Hebdo ! Berk. Revêche (Val) : « même si la chose ne pouvait pas se dire, il avait accueilli l’attentat comme une opportunité à ne pas laisser passer ». Grémond : « Le matin de l’attentat du 7 janvier, devant les premières images des assassins en fuite, Grémond avait ressenti une étrange satisfaction ». Berk : procédé maintes fois utilisé dans ce livre, faire dire des choses dégueulasses à ses personnages, pour les disqualifier. Or, si l’on se réfère à son maître Balzac, même des personnages corrompus comme Rubempré ou Rastignac ont droit à une part de bonté. Rubempré est touchant car une candeur demeure en lui. Rastignac, malgré son cœur sec passe, lui, par des examens de conscience.

Bellanger, en revanche, se donne le beau rôle. Ce Sauveterre a une mission : sauver la terre. Nous sauver ; nous le peuple français. Nous sauver de quoi ? Du roi qui nous gouverne. D’où le régicide de fin de livre. Las, le roman aurait été plus fort si Sauveterre était lui aussi un salop. Le surplomb en littérature insupporte.

L’autre problème est d’ordre politique. On n’aura rarement lu autant de bêtises écrites dans un roman. Sa thèse, en une formule ramassée : Macron= fascisme. L’idée ? Ce petit monde centriste est un petit monde qui au mieux a contribué à faire monter le Rassemblement national, au pire, partage ses idées. Grémond/Bouvet a pour livre de chevet Charles Maurras, le chantre du nationalisme intégral. Le maurassisme infuserait chez tous ces personnages. Quelle stupidité ! Pour Maurras, l’Eglise catholique doit être de nouveau au cœur de la société, alors que le Printemps Républicain ne jure que par la laïcité ; Pour Maurras, la patrie est tout, alors que l’ensemble des personnages est pro-européen ; Pour Maurras, il y a une anti-Françe à combattre, alors que Laurent Bouvet est favorable au métissage. Tout cela frise le ridicule.

Il en rajoute une couche sur Charlie Hebdo, devenu sous sa plume barrésien : « Ces dessinateurs avaient rejoint la France éternelle ». Bellanger n’est manifestement plus Charlie. Que tant de confusion est pénible à lire.

Quant à la responsabilité de Franc-Tireur et du Printemps Républicain dans la montée de l’extrême droite, on préfère en rire et conseiller à Bellanger d’aller prendre l’air en dehors des salons parisiens !

Mais il y a plus intéressant encore. Comme une partie de l’extrême gauche dont il se réclame, l’ennemi numéro 1 reste le libéralisme. Lisez : Sauveterre, (donc le double de Bellanger) se promène à Saint-Cloud, côté clan Le Pen. Il pense à assassiner Marine Le Pen. Mais non : « Marine Le Pen ne méritait sans doute pas un tel châtiment. » À l’inverse, « il ne reculerait pas devant un régicide. » Pour Bellanger, Le Pen au pouvoir est moins grave que Macron au pouvoir.

Finalement, les fascistes ne sont pas ceux que l’on croit.