Derrière la longue allée de platanes de la Roque d’Anthéron, un foisonnement de nouveaux artistes en floraison affirme le festival dans son rôle de tremplin.
Par Cécile Balavoine
C’est avec la mythique Maria Joao Pires que le 44e festival de la Roque d’Anthéron s’est ouvert, ce samedi 20 juillet, dans le parc du château de Florans. Mais c’est un festival qui se poursuit sous le signe du passage de flambeau, d’une flamme passionnelle, non pas olympique mais pianistique, avec de jeunes, voire de très jeunes virtuoses. Masaya Kamei, avec qui a débuté le concert du dimanche 21, s’était déjà produit l’an dernier à la Roque, mais pas encore sous la prestigieuse conque. C’est en entourant d’un bras protecteur ce jeune Japonais de 23 ans, Prix du Public du Concours Long-Thibaut 2022, que Lawrence Foster, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, a salué les spectateurs. Très resserré sur le clavier d’abord, Masaya Kamei s’est déployé au fil du 1er concerto de Chopin : premier mouvement tout en délicatesse, quoiqu’un peu sage, mais rondo assuré, ponctué de pointes d’humour qui laissent envisager un jeu futur plus affirmé, plus personnel encore. La deuxième partie du concert, le Divertimento pour orchestre à cordes de Bartok et les Danses de Galanta de Kodaly, a mis en lumière la souplesse et la chaleur des cordes ainsi que la richesse des bois de cet orchestre. L’esprit slave, tzigane, des deux pièces, s’inscrivait dans une progression logique avec la première partie, le 1erconcerto de Chopin ayant été donné à Varsovie en octobre 1830, juste avant le départ du compositeur pour Vienne, alors qu’il ne reviendrait plus dans sa Pologne natale.
Le lundi 22 juillet, tandis que Jean-Marc Luisada interprétait l’intégrale des Mazurkas du même Chopin dans le parc du château, Arielle Beck, 15 ans, elle aussi invitée pour la première fois l’an dernier à la Roque, proposait la prouesse d’enchaîner un récital et un concert, presque entièrement consacrés à Schumann. C’est à elle qu’est revenu l’honneur d’inaugurer le théâtre La Colonne à Miramas, l’un des trois nouveaux sites du festival avec le théâtre Jean-le-Bleu de Manosque et la basilique de Saint-Maximin-la-sainte-Baume. En plein air, dans le théâtre de verdure et la chaleur des derniers rayons, Arielle Beck s’est lancée sans hésiter dans la Grande Humoresque, mais avec un toucher caressant, d’une infinie finesse. Sa singulière capacité à passer d’une humeur lyrique et onirique à une autre mutine et espiègle, presque sans transitions, ou plus exactement avec des transitions impeccables, sans temps morts, nous présente un Schumann aux multiples facettes plutôt que dévoré par la folie, lui qui avoua avoir composé cette pièce en pleurant et riant. Et c’est, en plus de la force veloutée du son, de sa tendresse et de sa légèreté entre aquatique et aérienne, une compréhension propre de la partition qui, chez Arielle Beck, provoque le frisson. Dans Trois Romances tout autant. Le Miserere du Trovatore de Liszt, d’une extrême virtuosité, où la main gauche se fait époustouflante, est abordé sans afféterie, presque avec modestie. D’ailleurs, c’est en saluant non seulement le public mais aussi l’Orchestre Philharmonique de Marseille qu’Arielle Beck est montée sur la scène du théâtre La Colonne, deux heures plus tard, tout aussi détendue, gracile et grâcieuse, pour le concerto de Schumann, introduit par une belle Ouverture des Hébrides de Mendelssohn. Imprimant son tempo à l’orchestre en usant d’un sens rare de l’agogique, sous la baguette et sous l’œil bienveillant de Lawrence Foster, la jeune pianiste a montré plus qu’une maturité hors norme : la réflexion profonde qu’elle accorde à chaque œuvre abordée. Et l’on est persuadé que ce son, que cette patte déjà uniques ne feront que s’affirmer, que bientôt l’on reconnaitra les yeux fermés le jeu d’Arielle Beck.
Pour poursuivre cette série d’heureuses révélations, Tsotne Zedginidze, prodige géorgien de 13 ans, repéré par Daniel Barenboim et Simon Rattle, interprétera Schubert et Ravel, ainsi que ses propres compositions, ce mercredi 24 juillet. On salue donc ici René Martin, directeur artistique du festival, pour son si sûr instinct de découvreur et son inlassable volonté de donner un tremplin à de nouveaux artistes. Nous nous réservant ainsi bien des joies.
festival-piano.com
Du 20 juillet au 20 août 2024