Le pianiste Lucas Debargue interprétera ce soir au Festival un programme consacré à Fauré, Beethoven, Chopin, en remplacement d’Arcadi Volodos.  Portrait du jeune pianiste qui fera aussi l’évènement de la rentrée avec Insula Orchestra. 

C’est à un talent hors norme mais aussi à une bonne étoile que Lucas Debargue doit sa fulgurante carrière. Le pianiste de 33 ans qui a grandi dans les environs de Compiègne entre une mère infirmière et un père kiné est nourri de jazz, de rock et de musiques du monde. « Un jour, en fouillant la bibliothèque de disques de mes parents, je suis tombé sur le Concerto 21 de Mozart. Ç’a été un choc esthétique, une épiphanie. Je me souviens encore de ma fenêtre ouverte, du vent et du soleil dans les arbres… » On l’oriente alors vers une association fondée par un couple de bénévoles, qui enseignait la musique aux enfants de 17 communes alentour. « Sans Christiane et Jacques, je ne serais jamais devenu musicien ». Lucas Debargue se fraie alors un chemin sinueux vers le piano : école de musique de Compiègne, conservatoire de Beauvais puis… études de littérature à Paris-Diderot. « À 18 ans, j’avais envie de me cultiver, de faire des expériences, le CNSM m’apparaissait comme une entrave à la liberté. » Il obtient un master en art et lettres sur la réception littéraire du Sacre du printemps, puis une rupture amoureuse le ramène au clavier, dans un besoin de consolation. « Un jour, dans un bar près de Notre-Dame où j’étais avec des copains, je me suis mis au piano. Une famille de Brésiliens m’a entendu. Ils m’ont invité à Rio pour jouer à leur anniversaire de mariage. Ça a été mon tout premier engagement ! » Au retour, il entre à l’École normale de musique et rencontre Rena Shereshevskaya, poursuit parallèlement ses études au CNSM. « J’ai travaillé pendant 9 ans avec Rena, de 2011 à 2020 ». Leur relation de maître à élève est passionnée, parfois houleuse, mais en 2015, elle l’encourage à passer le concours Tchaïkovski à Moscou. « Je venais d’échouer à Minsk, j’étais amer, je n’y croyais pas du tout. J’avais encore délaissé le piano au profit de la lecture et ce n’est qu’à l’annonce de ma pré-sélection que je m’y suis remis. Mais j’avais un plan B : jouer du jazz sur des bateaux de croisières ! » Il est reçu 4e et c’est un véritable tremplin : invitations en Asie, en Amérique, en Russie, en Europe. Il en profite pour élargir son répertoire. « C’était intense car il fallait solidifier ma méthodologie, m’interroger sur l’interprétation. Maintenant, cela fait dix ans et j’ai un répertoire de plus d’une trentaine de concertos, chaque année je propose des récitals différents et j’ai enregistré au moins 15 heures de musique pour Sony ». Parallèlement, il compose, et cela l’aide aussi à être plus serein sur scène, à mieux comprendre l’harmonie, l’architecture des œuvres qu’il interprète. « J’ai beaucoup écrit pour piano solo, mais aussi pour quatuors et quintettes, notamment un quatuor à cordes qui a été créé à Genève. » L’idée de consacrer un disque à ses compositions est bien sûr très présente mais pour l’heure, après un été de festivals (la Roque d’Anthéron, Verbier, Aix-en-Provence…), c’est vers le Seine musicale qu’il se dirige, pour retrouver Laurence Equilbey et l’Insula Orchestra, avec qui il a déjà donné un programme Beethoven il y a deux ans. « J’ai adoré travailler avec Laurence, sur instruments anciens. En 2022, c’était la première fois que je jouais sur un piano du XIXe siècle, un Pleyel avec un tempérament plus bas et des couleurs, un toucher si particulier. » Lucas Debargue, dont le dernier disque, l’intégrale des oeuvres pour piano de Fauré, a été enregistré sur Opus 102, un piano de 102 touches (au lieu des 88 habituelles), du facteur Stephen Paulello, aime expérimenter. « J’essaie de me tenir loin des standards et du conservatisme », confie-t-il, « l’art a besoin de renouvellements, de prises de risque. »

Chopin/ Schumann, les grandes œuvres, Lucas Debargue et l’Insula Orchestra, direction Laurence Equilbey, à la Seine Musicale, les 24 et 25 septembre

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