Le satiriste Patrice Jean, avec La vie des spectres, dépeint avec scepticisme mais aussi avec affection, le monde d’aujourd’hui, parti à la dérive.

D’un bout à l’autre, La vie des spectres est porté par le regard et les mots de son héros. Le nouveau roman de Patrice Jean permet de faire plus ample connaissance avec un certain Jean Dulac. À quarante-neuf ans, ce journaliste fournit à diverses publications des articles sur l’actualité culturelle locale. Jean Dulac habite à Nantes dont Julien Gracq a si bien parlé dans La forme d’une ville. Encarté au PCF, il s’est éloigné du marxisme. Il observe d’un œil sceptique l’évolution de la société dans laquelle il évolue et une époque contemporaine peu réjouissante. Jean Dulac est marié à Doriane, une orthodontiste qui passe désormais plus de temps avec ses amies féministes Sabrina et Nadège, dont il trouve les propos édifiants, qu’avec lui. Simon, leur fils, a tapissé sa chambre de posters d’Orelsan et du Real de Madrid. L’adolescent semble plus intéressé par Netflix que par l’étude du Misanthrope dont les subtilités lui échappent. manifestement fin lecteur, l’anti-héros de l’auteur de L’homme surnuméraire et de La poursuite de l’idéal, apprécie quant à lui de se réfugier dans les Pensées de Pascal, les pages des

Essais de Montaigne ou du Monsieur Teste de Paul Valéry. Depuis dix ans, il travaille ponctuellement à la rédaction d’un roman, intitulé Les Fantoches, où il aurait mis trop d’idées et pas assez d’action selon l’avis de madame son épouse qui a eu entre les mains les premiers chapitres. Jean Dulac est cet être attachant et solitaire avouant un tropisme pour les femmes de boulangers ainsi que de ne pas trop goûter au théâtre et à la peinture. Quelqu’un à qui il arrive de penser que notre monde est malade et que « tout suffoque de rage, de vengeance, de bonne conscience »… Patrice Jean excelle à montrer la répétition des jours et l’érosion ressentie par Jean Dulac. Lequel n’est pourtant pas insensible au charme et à la présence de la professeure de français de Simon. Cette Hélène qui va être en butte à la vindicte du lycée et lui faire découvrir les idées de Leon Chestov. Dévoilons encore qu’il y aura dans ces pages des polémiques et des débats. Des espoirs et des désillusions. Que Jean Dulac va quitter son foyer pour se replier dans une arrière-cour avec des livres, des vêtements et son ordinateur. L’occasion de se retourner vers sa jeunesse et son parcours. Avant de voir débouler une étrange épidémie dermatologique provoquant des démangeaisons et pouvant finalement être soignée par un remède surprenant… Si Patrice Jean demeure un satiriste particulièrement réjouissant et mordant, il révèle ici une nouvelle facette de son talent. Et fait entendre à ses lectrices et à ses lecteurs une musique entêtante, à la fois sombre et lumineuse. La vie des spectres s’avère le plus introspectif de ses romans, le plus mélancolique et le plus flottant. Le plus audacieux et le plus abouti aussi.

Patrice Jean, La vie des spectres, parution le 22 août aux éditions Le Cherche Midi, 464 p, 22, 50€