Grégoire Bouillier décortique Les Nymphéas. Une entreprise de déconstruction du regard ludique et fascinante.
À quoi tient le pouvoir d’une œuvre d’art sur nous ? Quand il se trouve face aux Nymphéas de Monet, à l’Orangerie, Grégoire Bouillier se sent oppressé. Lui qui s’était toujours imaginé que les floraisons aquatiques du peintre impressionniste étaient synonymes de légèreté, voire de joie, le voilà en pleine angoisse. Pourquoi ? Il enquête, persuadé qu’une révélation va surgir. Il en est convaincu : un secret est caché sous les coups de pinceau. Peu à peu, l’obsession le gagne.
Avec Le Syndrome de l’Orangerie, l’auteur du Dossier M. et de Le Coeur ne cède pas confirme sa virtuosité à s’emparer du réel pour faire surgir un livre aussi excessif que singulier. Grégoire Bouillier écarte d’emblée les causes les plus évidentes de la noirceur qu’il perçoit dans les panneaux de Monet : la Grande Guerre, aux portes de Giverny, et la vue que le maître est en train de perdre inéluctablement. Peu à peu, on s’enfonce avec l’auteur, on creuse les pistes. « Pour être bien gardé, un secret ménage plusieurs niveaux de sécurité et mon syndrome de l’Orangerie me dit qu’il faut creuser davantage, plonger plus profond dans le bassin aux nymphéas. Je n’ai, jusqu’à présent, fait qu’effleurer l’écume des Grands Panneaux, et il faut zoomer encore plus loin. Zoomer à mort, jusqu’à franchir la barrière macroscopique du visible. » L’écrivain procède par spirale, et strates de sens. Il s’offre des pas de côtés et des grands écarts. Sans cesse, il invite le lecteur à soupçonner que ce qui se dit là n’est qu’un premier substrat, que l’essentiel est ailleurs. Que toute œuvre brille d’une nécessité cachée. Certes, on apprendra quelle est cette nécessité chez Monet, d’après Bouillier. L’écrivain suggère que le peintre a bel et bien enterré une sombre hantise sous les fleurs. De quelle nature, on laissera au lecteur le plaisir de le découvrir. L’érudition est ici ludique, brandie comme les pièces d’un puzzle. Mais ce qui se joue ici, est au-delà du peintre. Il s’agit avant tout de savoir ce qu’il y a d’essentiel dans une œuvre. Son sujet ? Certainement pas. Mais l’art lui-même, le style, et les silences assourdissants de celui qui crée. Ce qu’on abandonne secrètement dans une toile ou des mots couchés sur le papier. De quelle ombre est sertie une grande œuvre ? Depuis quel vide ordonne-t-on la création ? On trouvera dans ce livre une réflexion sur ce qu’il aurait pu être, et que l’auteur a fui. Comme toute enquête qui vaut le détour, ce roman procède du déchiffrement intime, du cheminement vers soi-même. « Ce qu’il faudrait, c’est accéder à sa propre voyance. C’est dépasser la légende qui se trouve sous le tableau comme la légende qui l’auréole au-dessus. Histoire de se doter d’un regard à soi, d’un regard neuf, d’un regard d’abord muet. » Le propos peut sembler abstrait. Ce serait compter sans l’humour de Bouillier, son goût du jeu et des acrobaties verbales.
Le syndrome de l’Orangerie, Grégoire Bouillier, disponible dès le 21 août aux éditions Flammarion, 22 €