En ouverture du festival d’Automne, très attendue à la Biennale de Lyon, Lina Lapelyté est l’un des nouveaux visages les plus excitants de l’art musical et de la performance. Rencontre avec la jeune Lituanienne qui ne craint pas la fausse note.
Lina Lapelyté a un regard qui vous interpelle d’un lieu calme et profond, qui pourrait être un lac dans les forêts lituaniennes. Son nom est apparu depuis quelques années dans toutes les sphères artistiques et théâtrales. Tout d’abord aux côtés de ceux de Vaiva Granyté et de Rugile Barzdziukaité pour Sun & Sea, performance musicale que les trois jeunes Lituaniennes nommèrent avec ironie, « opéra », lorsqu’elles le présentèrent dans le pavillon de leur pays à la Biennale de Venise et remportèrent le Lion d’Or en 2019. Moment d’exception dans l’histoire de la Biennale, ce prix rétribuait une performance musicale et théâtrale dont le résumé s’avère simplissime : sur une plage, des touristes bronzent, dorment, jouent au ballon. Certains chantent, mais impossible de savoir qui, puisqu’ils ne font jamais face au public. La musique relève plus de la comédie musicale que de Stockhausen, si ce n’est que les paroles nous annoncent la catastrophe écologique. « Contrepoint » pourrait être le premier mot qui définit le travail de Lina Lapelyté : l’artiste conceptuelle travaille sur différentes formes d’impromptus qui prennent le spectateur par surprise, et le déstabilisent. Découvrant Sun & Sea à la Villette l’année dernière, déjà au sein du Festival d’Automne, j’ai pu ainsi chercher un certain temps parmi cette foule d’estivants au comportement si banal, et si effroyablement passifs dans leur banalité, le sens de tout cela. Jusqu’à ce point d’abandon, où je me suis simplement fondue parmi ces corps familiers, pour entendre le chant d’une panique aussi vivante que l’indifférence que notre mode de vie poursuit. Lapelyté affute son art de l’inconfort dans son spectacle The Mutes que l’on retrouve en cette rentrée à la Biennale de Lyon : regroupant une chorale de chanteurs qui chantent faux, elle place le public dans la situation délicate de subir une musique dont ils finissent, peu à peu, par accepter l’étrange résonance. Fallait-il en rire ? Percevoir une harmonie dans la disharmonie ? Lina Lapelyté a ceci des grands qu’elle ne délivre aucune œuvre claire, mais nous mène dans des lieux dont l’inconfort même, burlesque ou ludique, permet de nous déplacer hors des carcans d’une pensée facile. C’est là toute la beauté du travail de la jeune Lituanienne, qui se place à mi-chemin d’une fantaisie très Mitteleuropa, et d’une efficace ironie britannique. Ayant été formée à la musique en Lituanie, la jeune violoniste est arrivée à Londres à dix-huit ans, et a passé un temps dans les squats de la ville. Rencontrant là différents artistes conceptuels, adoptant auprès d’eux une approche radicale de la musique, elle a passé un certain temps à « désapprendre » ce qu’elle avait appris lors de sa formation classique à Kaunas, où elle a grandi. Ce parcours, à rebours du classicisme, se retrouve dans sa vision de l’art qui semble toujours à la recherche de la non-évidence, et d’une beauté, elle-même use du terme souvent, qui jaillirait des lieux les plus improbables. Ainsi des deux spectacles qu’elle présente à la rentrée au sein du Festival d’Automne : the Speech sous la coupole de la Bourse de Commerce, réunira plusieurs centaines d’enfants pour former un chœur étrange de cris d’animaux. Un mois plus tard, Have a good day !, l’une de ses premières créations réalisées avec ses deux acolytes de Sun & Sea, permettra à un chœur de caissières de chanter tour à tour leurs récits. Ode à la vie intérieure qui se déploie sur une musique rythmée par les bips des supermarchés. Alors que ces différents spectacles vont permettre au public français de découvrir la richesse de son univers, nous avons eu envie de la rencontrer. Une idée heureuse, car Lina Lapelyté est aussi précise que drôle lorsqu’elle parle de son travail. Même si hélas, je n’ai pas eu la chance de l’entendre chanter, absolument faux, supputons-le.
D’après ce que je sais de votre prochaine création qui ouvrira le Festival d’Automne, The Speech, il s’agit d’un chœur d’une centaine d’enfants qui nous offre, à leur manière, des chants d’animaux : c’est bien ça ?
Oui, difficile d’arrêter le nombre exact d’enfants qui ne cesse d’augmenter ou de diminuer selon les moments…Mais je ne l’appellerais pas « chœur » dans la mesure où personne ne va chanter, si l’on entend par chanter la manière traditionnelle. Le chant ici, doit être entendu de manière plus conceptuelle ( rires), puisque les enfants imitent des cris d’animaux, donc si c’est du chant, c’est très abstrait !
Il y a déjà eu des enfants dans vos créations, notamment dans Sun & Sea, comment définiriez-vous la manière spécifique que vous avez de travailler avec eux ?
J’aime beaucoup travailler avec des enfants, particulièrement dans cette situation. Parce que je crois que cette création me permet de perdre le contrôle : il est difficile de prévoir le travail avec un enfant, ni de lui demander beaucoup. Il faut être patient et prendre soin de lui. La patience et l’attention sont deux choses qui me semblent primordiales, dans la vie, mais aussi en art. Bien sûr, ce n’est pas facile, et travailler comme ça pose pas mal de problèmes, d’évènements non prédictibles, mais c’est ça, je crois, qui fait naître la beauté.
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The Speech, Lina Lapelyté, Bourse de Commerce-Pinault Collection, dans le cadre du Festival d’Automne, 11-13 septembre
Have a good day !, Lina Lapelyté, Vaiva Granyté et Rugile Barzdziukaité, Théâtre du Rond Point, dans le cadre du Festival d’Automne, 22-24 octobre