Magnifique film désespéré entre fiction et archives, À son image nous a convaincus.

Il y avait comme une évidence à voir le regard de Thierry de Peretti croiser la plume de Jérôme Ferrari, tant cinéaste et romancier partagent depuis de longues années une même ligne d’horizon géographique et sentimentale, à l’origine d’œuvres à la parenté manifeste, faisant résonner dans des arts différents une langue commune, naturellement mélancolique et, bien qu’insulaire, universelle. En adaptant À son image, Peretti retrouve son territoire cinématographique matriciel, après une Enquête sur un scandale d’État aux méandres plus internationaux. Éternel retour à la Corse, à sa jeunesse, à sa lumière, à ses nuits orageuses et à ses incessantes agitations politiques, traversées le temps d’une vie courte comme un battement de cils par Antonia, photographe de son état et amourachée d’un jeune militant, aussi fougueux qu’inconscient. 

Dans ce roman nationaliste au féminin, pas de concordance des temps, mais un perpétuel va-et-vient entre des fragments d’existence, fragilement reliés par la continuité d’une voix off concise et littéraire, mais jamais écrasante, parce qu’incertaine et accablée. Dès les premières minutes du film, une disjonction tragique s’opère entre le présent vécu par Antonia et ses amis, et une strate temporelle supérieure, qui s’écoule à un autre rythme, selon une autre tonalité. Un soir de kermesse, au sein d’une foule déchaînée, la bande jouit de son ingénuité la plus complète, buvant et reprenant des chants indépendantistes à qui mieux mieux, et malgré la grâce de ce printemps des sentiments, malgré la folle sensualité des garçons et des filles, l’ombre tragique de la lutte armée s’étend inexorablement sur leurs existences. C’est beau à en pleurer. 

Parfait prolongement d’Une vie violente, dont il est en quelque sorte la relecture féministe, À son image se fait le récit désenchanté et désaturé de cette fatalité collective, l’appareil argentique d’Antonia, devenue par la force des choses journaliste à Corse Matin, s’apparentant à une chambre noire d’enregistrement, où chaque corps photographié est bientôt un corps à enterrer. Peretti enchevêtre fiction et archives pour donner chair à sa fresque politique, qui condense plusieurs épisodes historiques, tel l’assassinat de Jean-Marc Leccia et de Salvadore Contini, abattus dans leur cellule de prison par un commando du FLNC. Pour donner un sens à ses images et à sa vie, Antonia trouvera en Yougoslavie un autre conflit, un autre théâtre de guerre sur lequel poser son regard, dans l’espoir, sinon d’infléchir le cours des choses, du moins de le rendre plus compréhensible pour elle-même et pour les autres. Ce changement de paradigme, aussi vain que sublime, finira d’achever les idéaux de la jeune fille, dont la combustion ressemble à celle des cigarettes, fumées sans discontinuer, comme de la pellicule, succession de clichés destinés à rejoindre les cendres du temps. Le cinéma, ainsi que la photographie, arrive toujours trop tard, la mort étant déjà passée par là. Même si, lorsque Antonia renvoie enfin ses grands yeux d’azur vers le spectateur, exposant son âme à la révélation de l’obturateur, ce peu de lumière chasse beaucoup d’obscurité.  

À son image, un film de Thierry de Peretti, avec Clara-Maria Laredo, Marc’Antonu Mozziconacci, Louis Starace, en salle dès le 4 septembre Pyramide Distribution