Dans La vie secrète des vieux, sa nouvelle création présentée cet été au festival d’Avignon, Mohamed El Khatib donne la parole à des personnes âgées qui racontent sans fard leurs relations amoureuses ou sexuelles. Une réussite pleine de sève.
« Je ne veux pas jouer au Scrabble, ce que je veux c’est m’envoyer en l’air ! » Peut-on être plus explicite ? Les héros de La vie secrète des vieux, nouvelle création de Mohamed El Khatib n’y vont pas par quatre chemins. Ils ont beau vivre en Ephad, pour certains, et avoir dépassé les soixante-quinze printemps, l’amour, qu’il soit physique ou sentimental, reste plus que jamais pour eux « la grande affaire », comme disait Stendhal. En leur donnant la parole dans un spectacle décapant et bourré d’humour présenté en juillet au Festival d’Avignon, le metteur en scène réussit le tour de force de transformer radicalement le regard que nous portons sur nos aînés. De fait, en dehors des éternels clichés de personnes fatiguées, dépendantes, souffrant de perte de mémoire, de démence sénile ou éprouvant des difficultés à se mouvoir ou à s’exprimer – ce qui correspond bien sûr à une réalité – nous ne savons presque rien du grand âge.
Or ce qui est merveilleux dans cette création de Mohamed El Khatib, c’est que loin de se contenter de faire du théâtre documentaire, il offre à celles et ceux présents à ses côtés sur le plateau, la possibilité non seulement de raconter leur vie sexuelle étonnamment riche, mais de jouer leur propre rôle avec une certaine pudeur, même si leurs mots sont parfois d’une crudité confondante. Pour arriver à ce résultat, il a lui-même passé beaucoup de temps en Ephad à l’écoute de ces femmes et de ces hommes qui lui ont confié sans fard les détails les plus intimes de leur vie amoureuse ; en revanche, à chaque fois, ils lui ont demandé de ne surtout rien répéter à leurs enfants. Comme souvent, quand il travaille sur un sujet, Mohamed El Khatib a tourné un film documentaire qui sortira en 2025. Mais il a surtout convaincu plusieurs de ses interlocuteurs de monter sur scène pour raconter ce qui est en général considéré comme un tabou.
Mis en confiance en partie grâce à sa présence auprès d’eux pendant la représentation, c’est peu dire qu’ils se sont pris au jeu. On sent de leur part une véritable jubilation teintée d’ironie. « Il vaut mieux mourir sur scène qu’à l’Ephad », déclare une des protagonistes dès le début du spectacle. Plus tard elle énoncera une tirade de Bérénice de Racine. D’autres interpréteront la scène du balcon dans Roméo et Juliette. Sur une photo projetée en fond de plateau, un homme et une femme s’embrassent passionnément sur la bouche. Ce sont Jeanne et Jean-Claude. On apprend que leurs enfants les ont empêchés de se voir car ils
n’acceptaient pas leur relation. Au milieu du groupe, Yasmine, une aide-soignante travaillant en Ephad, raconte comment en Belgique des assistants sexuels apportent leurs services aux personnes âgées ; ce qui en France est illégal.
Régulièrement l’une ou l’autre pose la question : « Où est George ? ». Bientôt Georges apparaît, ou plutôt ses restes contenus dans une urne. « C’était un très bon acteur », disent-ils. Et tous de se rapprocher pour prendre une photo avec l’urne et, projetées en fond, les dates : « Georges 1923 – 2024 ». Une des leçons de ce spectacle aussi pétillant et drôle que priapique, c’est aussi son sens aigu de l’éphémère – le goût de profiter au maximum de l’instant présent n’en est que plus fort. Bientôt chacun donne son avis sur ce que serait un bon spectacle. Les opinions divergent évidemment et en même temps elles se complètent. Intervient alors Yasmine : elle se lance dans un étonnant pot-pourri dansé et chanté qui va de la comédie musicale style Bollywood à Céline Dion en passant par l’opéra, tandis qu’explose un feu d’artifice sous les applaudissements de ceux qui nous en ont tant appris au cours de cette représentation : ils ont définitivement changé notre vision du grand âge.
La vie secrète des vieux, de et par Mohamed El Khatib :
- au Théâtre de la Ville, Paris, dans le cadre du Festival d’Automne, du 12 au 26 septembre.
- à l’Espace 1789, Saint-Ouen, les 8 et 9 octobre