Saltimbanque des couleurs, pirate des formes, aventurier de l’art, le très iconoclaste Hervé Di Rosa nous ouvre les portes de son antre secret et de son univers pictural détonnant.
Un Barbès d’été. Devant le porche, les murmures insistants « Marlboro ! Marlboro ! » et autres incitations à la dépravation toxicologique de blédards battant le pavé jour et nuit, malheureux forçats d’une survie de migrants. Il y a longtemps déjà, le sétois Hervé Di Rosa a posé ici ses valises, ses tubes de couleurs et ses pinceaux en compagnie de Victoire, sa seconde femme, et de leurs deux filles. Au fond d’une cour pavée garnie d’arbustes et de plantes formant un puissant antidote au boulevard pollué, encombré et sale, un atelier hors du temps, comme un refuge coupé du monde et de la clameur incessante du quartier. L’endroit, encombré de milliers de livres et de revues, de BD et naturellement de toiles, est si vaste que je m’y perds un peu, entre niveaux, demi-niveaux, recoins et autres fantaisies architecturales. C’est dans ce qui fut autrefois une ancienne imprimerie que vit et œuvre l’artiste, quand il n’est pas dans ses deux autres ports d’attache, Lisbonne et Sète. Entrée en matière, décapante, à son image : « Les mecs qui ont des Rolls, c’est sûr, ils ne viennent pas vivre à Barbés ! »
« On a été sauvés de la drogue juste pour arriver à être vieux et mourir »
Mais rembobinons le film de nos existences parallèles quelques instants. Je me souviens de lui chez la scénariste Annette Boisrond, la mère étrange du peintre François Boisrond, mais aussi de personnages aussi différents que Philippe Garrel, le photographe Louis Jammes, le désormais célèbre Hector Obalk ou encore le cinéaste Vincent Dieutre. Hervé Di Rosa formait alors avec Boisrond, un drôle d’équipage, le petit, bavard, et le grand, mutique…Il était alors tout mince et animé d’une énergie de toupie punk-rock, de surcroît doté d’un puissant accent du Sud qui dénotait plaisamment avec l’accent de parisiens « bourges » bien que légèrement, voire fortement dépravés, pour certains membres de la petite bande. La drogue régnait en maîtresse absolue sur certains de ces garçons bien davantage que les filles, reléguées par la force des choses à une obsession secondaire. Heroin, chantait Lou Reed. « Héroïne ! » reprenait en chœur le hameau Boileau. Moralité dirosesque en forme de pirouette mi-amusée-mi tragique : « On a été sauvés de la drogue juste pour arriver à être vieux et puis mourir ». Sauvés par le même médecin des artistes défoncés dont plus d’un, sortis de l’ornière, certains même monstres sacrés de l’art contemporain, m’ont à plusieurs reprises vanté le rôle de « bienfaiteur » auquel ils doivent une reconnaissance éternelle…
« Si Soulages m’avait donné une toile, j’aurais peint dessus. Ce sont juste des beaux fonds »
Il y a deux ans, je retombais à Sète sur Hervé Di Rosa, changé comme chacun d’entre nous, bien épaissi, cheveux de neige, mais la langue toujours vive, à un dîner donné chez Robert Combas, son « compère » rencontré tout jeune chez un disquaire local. Agapes données en l’honneur de François Boisrond, exposé cet été-là au musée Paul Valéry. Il y avait quelque chose de touchant pour l’observateur que j’étais, bien plus que pour eux me semblait-il, à contempler ces trois lascars n’ayant au fond jamais achevé leur mue post-adolescente, se retrouver pour la première fois depuis des années et rire, parler, déconner, comme s’ils s’étaient quittés hier. Ces gamins blanchis sous le harnais étaient devenus depuis leurs folles jeunesses de véritables institutions. Ne manquaient cette nuit-là dans la douceur nocturne du Mont Saint-Clair que Rémi Blanchard, l’un des quatre mousquetaires de la Figuration Libre, emporté en 1993 par Lady Héroïne. Et aussi, un peu de côté dans le groupe, Richard Di Rosa, le frère d’Hervé, et la discrète Catherine Viollet. Que de chemins parcourus en quarante-cinq ans par ces aventuriers de l’art, nullement persuadés à l’époque d’y faire leur trou, encore moins de connaître la renommée…Avec Di Rosa, le temps n’est cependant pas une ligne droite qu’il serait facile de remonter comme on se hisse au moyen d’une corde. Lui poser des questions, c’est se risquer à perdre le fil de la conversation, de s’égarer dans les à-côtés et se faire engloutir par ce torrent furieux de mots passant du coq-à-l’âne avec la vélocité poétique d’un Raymond Devos à l’accent chantant.
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Beaubadugly, L’autre histoire de la Peinture, au MIAM (Sète). Jusqu’au 9 mars 2025.